La mort bleue
du pays voisin.
Du hall, elles passèrent à la salle de bal, très grande, richement décorée. Tout autour de la piste de danse, des tables accueillaient les clientes. Très souvent accompagnées de leur mère, parfois dâune sÅur ou dâune cousine plus âgée, plus rarement dâune domestique particulièrement fiable, des jeunes filles rougissantes affichaient leurs plus beaux atours.
â Je nâai pas pensé à nous munir dâun chaperon, déclara Thalie en jetant un Åil circulaire sur lâassistance.
Le ton témoignait combien cet oubli la laissait indifférente. Elle entraîna sa compagne vers une table située un peu à lâécart, commanda du thé et des biscuits. Pendant que la serveuse sâéloignait, elle commenta encore, moqueuse :
â Avec la prohibition, nous devons renoncer au sherry.
â Je nâoserais jamais⦠pas en public.
En fin de soirée, Françoise, réfugiée dans lâappartement quiet situé au-dessus du commerce de vêtements féminins, aimait bien tremper ses lèvres dans un petit verre de cristal. Au milieu dâétrangers, la chose lui paraissait incorrecte.
Dans un coin de la grande salle, un petit orchestre accordait ses instruments. Bientôt, le rythme dâune valse envahit le vaste espace. Comme sâils répondaient à un appel, des hommes apparurent près de lâentrée, pour la plupart sanglés dans un uniforme kaki. Ces fins dâaprès-midi permettaient aux jeunes gens des deux sexes de se rencontrer sous les yeux attentifs de dames respectables, pour des danses et des conversations bien chastes.
Françoise, songeuse, contempla les nouveaux venus. Ceux-là attendaient sans doute le prochain convoi de transport de troupes qui les conduirait de lâautre côté de lâAtlantique. Un long soupir sâéchappa de ses lèvres.
â Il y a bien trois semaines que nous nâavons rien reçu, prononça-t-elle, dépitée.
â Cela ne doit pas être facile, là -bas. Tu as vu ses dernières lettresâ¦
Depuis son passage en Belgique, les missives de Mathieu se réduisaient à peu de choses : des mots mal dessinés à la mine sur de petits rectangles de papier.
â Au fond dâune tranchée, continua Thalie après une pause, ce grand sot ne trouve certainement pas le temps ou la place pour écrire de longues lettres.
â Juste un mot me suffirait. Seulement pour me signifierâ¦
Signifier quâil vivait toujours, tout simplement. Les journaux regorgeaient de descriptions dantesques de la vie dans les tranchées. Chaque jour, ils publiaient des colonnes intitulées « Tombés au champ dâhonneur ». Celles-ci alimentaient les terreurs les plus grandes. Thalie ne sut comment enchaîner, aussi elle se contenta de serrer la main de sa compagne, posée sur la table.
Devant leurs yeux, des couples commençaient à tourner sur eux-mêmes au son de la musique. Lâuniforme seyait à la plupart des hommes; il ajoutait une touche de virilité aux plus veules dâentre eux. Après un moment, deux garçons se détachèrent du mur opposé pour sâapprocher de leur table. Le plus audacieux commença, à lâintention de Thalie :
â Mademoiselle, voulez-vous danser?
â Bien sûr, avec plaisir, répondit-elle dans un sourire.
Le second garçon sâinclina devant Françoise.
â Et vous, Mademoiselle?
â ⦠Jeâ¦
Thalie toucha la main de son amie, fixa ses yeux dans les siens.
â Oui, je veux bien, consentit-elle enfin.
Un moment plus tard, la jolie châtaine se laissait guider sur la piste de danse. Son partenaire contempla ses grands yeux gris pendant une bonne minute, puis trouva le courage de remarquer :
â Vous vous apprêtiez à refuser.
â Pardon?
â Vous vouliez refuser de danser avec moi, votre amie vous a fait changer dâidée. Je⦠je ne vous plais pas?
Pas très grand, sa bouche trop large le faisait ressembler à une gargouille. Lâensemble de sa personne semblait tout de même plutôt sympathique. Françoise trouva son expression la plus amène pour dire :
â Nâallez pas croire une chose pareille.
â Alors, pourquoi?
â Mon fiancé se trouve près dâYpres, avec le 22 e . Cela me
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