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La mort bleue

La mort bleue

Titel: La mort bleue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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fait tout drôle de danser avec une autre personne, alors que je n’ai jamais eu l’occasion de le faire avec lui.
    Le soldat ralentit son pas, jusqu’à cesser de pivoter sur lui-même. Le couple se retrouva immobile parmi tous les autres, toujours en mouvement.
    â€” Je peux vous reconduire à votre table.
    â€” Non, je suis heureuse de danser avec vous… Êtes-vous de Québec?
    Ils se laissaient de nouveau entraîner par la musique.
    â€” Non, de Rimouski.
    â€” Nous sommes presque voisins, alors. Je suis de Rivière-du-Loup.
    Tout d’un coup, le garçon se sentit moins intimidé. Les jeunes filles de la ville lui paraissaient tellement distantes et prétentieuses, comparées à celles de la campagne. Il s’enhardit au point de demander :
    â€” Êtes-vous venue travailler dans une usine de munitions?
    â€” Non, je suis vendeuse.
    â€” C’est pour cela que vous êtes si élégante.
    Françoise préféra ne pas se présenter comme la fille d’un député, tellement ce garçon paraissait peu assuré. Dans quelques semaines, toutefois, il trouverait l’audace de tirer sur ses semblables et d’avancer vers les lignes ennemies sous la mitraille.
    Finalement, les deux heures de congé s’écoulèrent tout doucement, au gré d’une conversation plaisante, au-dessus d’une tasse de thé devenue tiède.
    * * *
    Les ateliers de la Pointe-aux-Lièvres fermaient leurs portes à six heures, les samedis comme les autres jours de la semaine. Fulgence Létourneau regarda les centaines de femmes et les quelques hommes, la plupart de ces derniers étant préposés à l’entretien des machines, quitter les baraques de brique. Avec les commandes militaires, l’effectif atteignait des sommets inégalés : les besoins en uniformes des nouveaux conscrits permettaient de recruter toutes les jeunes paysannes désireuses de tenter l’aventure de la grande ville, pour en faire des couturières.
    Le petit homme verrouilla derrière la dernière d’entre elles, lança un « À lundi » à la ronde, pour marcher ensuite d’un pas rapide vers le pont Drouin, jeté sur la rivière Saint-Charles, qui permettait d’accéder au quartier Limoilou. Il passa sans s’arrêter devant sa petite maison du vieux chemin Anderson, devenu depuis quelques années la 3 e Rue, afin de rejoindre un peu plus loin un terrain vague.
    â€” Bonsoir, prononça-t-il à l’intention de son épouse, une grosse femme blonde penchée sur un sillon tracé sur le sol meuble.
    Thérèse se releva, replaça une mèche de cheveux échappée de son chignon. L’homme ajouta, en réponse à un reproche muet :
    â€” Je suis désolé d’être en retard. Je dois attendre que tout le monde soit sorti, avant de fermer.
    Sans un mot, elle recommença à donner des coups de bêche dans le sol mouillé. Autour d’eux, des dizaines de personnes, des hommes et des femmes parfois accompagnés d’enfants, s’activaient pour tracer des allées bien droites. Les citadins paraissaient pris d’un enthousiasme agricole irrépressible. En se dirigeant vers une clôture, Fulgence salua de nombreux voisins. Il déboutonna sa veste pour l’accrocher à un piquet. Au même moment, un jeune garçon arriva avec une bouteille d’eau.
    â€” Papa, tous tes employés ont quitté leur travail? demanda-t-il en souriant.
    â€” Depuis quelques minutes, oui. Toi, as-tu passé une bonne journée à l’école?
    Jacques lui adressa un grand geste affirmatif de la tête. Le garçon avait fêté son neuvième anniversaire quelques semaines plus tôt. Les frères des Écoles chrétiennes lui permettaient de suivre le cours d’études primaires sous une direction ferme et attentive. Le directeur des ateliers PICARD ôta sa cravate pour la glisser dans l’une de ses poches, puis il détacha les premiers boutons de sa chemise.
    â€” C’est amusant, faire un jardin, commenta le garçon. Nous en ferons un autre l’an prochain?
    â€” Je ne sais pas. Si la guerre sévit encore, nous n’aurons sans doute pas le choix.
    Les aliments devenaient très chers sur tous les marchés de la ville. Il fallait approvisionner non seulement le corps

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