La mort du Roi Arthur
forteresse. Une fois à l’abri des murailles, ils comptèrent leurs pertes, tant en chevaliers qu’en écuyers ou en serviteurs, et les trouvèrent fortes. Il est vrai que, pour compenser, ils avaient fait une dizaine de prisonniers.
Quand ils eurent déposé leurs armes, le repas les réunit dans la grande salle, blessés comme bien-portants, et, leur faim apaisée, ils commentèrent cette journée. De l’avis de tous, nul, hormis Lancelot et Bohort, ne s’était si vaillamment battu que Gauvain. Lancelot intervint alors : « Seigneurs, vous avez assez vu que les gens du roi savent manier l’épée. Ils nous ont aussi rudement malmenés que nous faisions nous-mêmes d’eux. Néanmoins, ils ne sauraient se targuer d’y avoir beaucoup gagné, bien qu’ils aient sur nous l’avantage du nombre. Pour nous, les choses se sont passées du mieux possible, en dépit de cette infériorité, et nous avons, grâce à Dieu, fort bien contenu leurs assauts. Voyons donc ce que nous pourrions faire demain et comment nous comporter dorénavant. Dites-moi votre conseil, je vous en prie. » Tous exprimèrent le vœu de reprendre le combat dès le lever du jour.
« Seigneurs, reprit Lancelot, puisque vous désirez vous battre, choisissez celui qui prendra la tête de la sortie. » Bohort s’empressa de déclarer que personne ne le devancerait et que, dès l’aube, il irait en armes attaquer l’armée royale. Hector promit de le suivre avec un autre bataillon. Éliézer, fils du roi Pellès, chevalier courageux et hardi, se fit fort de mener le troisième avec ses gens de la Terre Foraine. Un chevalier de Sorelois, homme d’un grand courage, s’offrit alors pour conduire le quatrième, et il se trouva suffisamment d’hommes pour constituer en tout huit bataillons qui comptaient chacun cent chevaliers.
Ainsi les gens de Lancelot organisèrent-ils leurs corps de troupes pour le lendemain, dotant chacun de ceux-ci d’un bon chef. Et cette même nuit les vit également s’occuper de leurs blessés. Le triste état de Bohort mit Hector en fureur contre Gauvain, et il déclara à qui voulait l’entendre qu’il vengerait son cousin dès qu’il en aurait l’occasion. Quoi qu’il en soit, une fois couchés, tous dormirent comme des bûches, car ils étaient éreintés. Et de même fit-on dans le camp du roi, où l’on déplorait fort la perte de maints preux. La rudesse de la bataille avait refroidi les esprits. De sorte qu’après le dîner, ceux de la forteresse avaient fait les frais de la conversation : non contents d’être plus nombreux que l’on n’avait d’abord cru, ils avaient dans leurs rangs des hommes aussi vaillants que courageux. On convint toutefois qu’une fois de plus Gauvain et Lancelot s’étaient magnifiquement distingués. Cela dit, les moins fatigués des compagnons d’Arthur se disposèrent à monter la garde toute la nuit tandis que les autres allaient se reposer, car on redoutait quelque assaut nocturne.
Le lendemain, dès le point du jour, à peine le soleil eut-il effleuré l’horizon, les gens de Lancelot revêtirent leurs cottes et leurs chausses puis coururent prendre leurs armes. Et, bientôt, ils quittèrent la forteresse en bon ordre, l’un derrière l’autre. Quand ceux du camp les virent ainsi descendre, ils bondirent eux aussi sur leurs armes et sortirent de leurs pavillons, prêts à combattre.
Or, il advint que, tout comme Bohort le sien, Gauvain conduisait le premier bataillon, et il n’en fut guère fâché, car sa colère contre celui-là n’avait fait que croître au cours de la nuit. Et lorsqu’on fut presque au contact, tous deux s’élancèrent l’un contre l’autre, l’épée brandie, de toute la vitesse de leurs chevaux, et se frappèrent si violemment qu’aucune arme n’eût pu les empêcher de se jeter mutuellement à terre, si enferrés qu’aucun des deux ne pouvait se relever. Et la chose n’avait rien de surprenant, car tous deux avaient été transpercés par le fer.
Après ce duel, les deux premiers bataillons se ruèrent l’un sur l’autre. Les hommes se donnaient des coups d’une violence si extraordinaire et si empoisonnée de haine mortelle que nombre d’entre eux ne se relevèrent jamais. À ce moment, le sort tournait contre les gens d’Arthur. Au sein du premier bataillon des partisans de Lancelot se trouvait un chevalier de la Terre Foraine qui accomplit de tels exploits dans cette mêlée que, grâce à lui, ceux
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