La mort du Roi Arthur
d’Arthur connurent la déroute. Et, aussitôt qu’ils eurent vidé les lieux, les assiégés se précipitèrent vers l’endroit où gisaient, blessés et incapables de se relever, Gauvain et Bohort. Ils voulurent les emporter et se seraient emparés de Gauvain, si les gens du roi, venus à sa rescousse, ne s’étaient mis en peine de le délivrer, tandis que leurs adversaires parvenaient eux-mêmes, non sans mal, à récupérer Bohort et à le remonter sur son bouclier derrière les murailles.
Sur les bords de la rivière, le combat qui avait débuté le matin s’était poursuivi tout au long de la journée. Quant au roi Arthur, loin de demeurer inactif, il avait endossé ses armes et se comporta, dit-on, plus vaillamment que ne l’eût pu faire aucun homme de son âge {60} . On prétend même qu’il ne se trouva dans son camp nul chevalier, jeune ou vieux, susceptible de rivaliser avec lui. Quoi qu’il en soit, son exemple donna tant de courage aux siens que, sans Lancelot, ceux de la forteresse auraient été vaincus. Mais Lancelot accomplit de si beaux exploits qu’Arthur, l’ayant reconnu à ses armes, se dit à part lui : « Si cet homme continue de vivre, c’en est fait des miens ! »
Alors le roi lui courut sus avec hardiesse, l’épée au poing. Mais quand Lancelot le vit venir, il refusa de l’affronter, car il lui conservait un respect profond, et il se contenta de se couvrir. Cependant, Arthur donnait de si rudes coups qu’il lui atteignit son cheval à l’échine et, par là même, jeta Lancelot à terre. Ce que voyant, Hector, qui se trouvait tout près, craignit que son frère ne fût grièvement blessé et, s’élançant sur le roi, lui assena sur le heaume un coup si violent qu’Arthur en fut étourdi au point de ne plus savoir si c’était le jour ou la nuit puis, quoiqu’il l’eût reconnu, l’attaqua de nouveau si bien qu’il l’envoya mordre la poussière à son tour. Alors, il cria à son frère : « Coupe-lui la tête ! Il est à ta merci ! Ainsi la guerre sera-t-elle finie ! » Mais Lancelot, qui s’était relevé, répliqua : « J’aimerais mieux être mort que de le tuer ! » Puis, sous les yeux d’Hector qui n’osa s’interposer, il remit lui-même en selle le roi Arthur et, là-dessus, il remonta lui-même et, entraînant son frère, s’éloigna et quitta le lieu du combat.
Sitôt de retour parmi les siens, le roi Arthur dit à haute voix : « Seigneurs, avez-vous vu ce que Lancelot vient de faire pour moi ? Il pouvait me tuer et il ne l’a pas fait. Il a refusé de porter la main sur son roi. Par ma foi ! il a dépassé en noblesse et en courtoisie tous les chevaliers que j’ai connus. Je voudrais bien que cette guerre n’eût jamais commencé, car il a aujourd’hui remporté sur mon cœur, par sa générosité, une plus grande victoire que s’il l’avait obtenue par la force. » Gauvain entendit les paroles du roi. Et s’il ne dit mot, il en fut au fond de lui-même affreusement courroucé, car sa haine contre Lancelot n’avait fait que grandir au cours de cette bataille insensée.
Le roi Arthur maintint le siège devant la Joyeuse Garde deux mois et plus. Les assiégés firent contre lui de nombreuses sorties, mais celles-ci leur firent perdre bien des leurs, et ils le déplorèrent d’autant plus que leur infériorité numérique en était aggravée. Néanmoins Bohort, entre-temps remis de ses blessures, était plus que jamais décidé à aller jusqu’au bout, car il estimait lésée toute la lignée du roi Ban par l’hostilité qu’Arthur et ses proches parents manifestaient à Lancelot. Quant à Lionel, il avait, après un long séjour chez le roi de Norgalles, rallié Lancelot en l’assurant de sa fidélité. On savait bien, dans la forteresse, que tous quatre étaient les plus redoutables guerriers de leur temps, et l’on espérait en conséquence que le roi Arthur, comprenant l’inutilité de son entreprise, finirait par lever le siège de la Joyeuse Garde et, ordonnant à ses troupes de se replier, rentrerait à Kamaalot.
Sur ces entrefaites, le pape de Rome apprit qu’Arthur avait quitté sa femme et qu’il avait l’intention de la faire mourir s’il la détenait jamais en son pouvoir, quoique, assurait du moins la rumeur, on ne pût la convaincre du crime dont elle était accusée. Ainsi, dans son indignation, manda-t-il aux évêques du royaume d’interdire et d’excommunier la terre d’Arthur si
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