La mort du Roi Arthur
journée, les gens tapis dans la forêt ne cessèrent de lorgner la tour, dans l’espoir d’y voir surgir l’oriflamme. Peine perdue, car Lancelot préférait laisser pour l’instant l’adversaire souffler et, par là même, se rassurer. Et, de fait, celui-ci se tint le raisonnement suivant : « Si Lancelot, qui n’est pas homme, certes, à camper sur la défensive ni à renoncer, s’est abstenu de se précipiter sur nous, c’est faute de troupes suffisantes. »
À la vérité, Lancelot répugnait également à engager le combat contre ceux qui avaient été, si longtemps, ses compagnons, et surtout contre l’homme qu’il avait le plus aimé, Arthur lui-même qui, par malheur, était désormais son ennemi mortel. Et cette situation l’accablait si fort qu’il tenta la voie de la conciliation. Il appela une jeune fille qui se trouvait dans la forteresse et qui passait pour fort instruite en diverses sciences. « Demoiselle, lui dit-il, va trouver le roi Arthur et dis-lui de ma part ma stupeur de le voir entreprendre une guerre comme celle-ci, car je ne pensais pas lui avoir causé un tel tort. Et s’il prétend que c’est à cause de la reine, avec laquelle je l’aurais, dit-on, déshonoré, annonce-lui que je suis prêt à soutenir contre le meilleur chevalier de la cour que cette accusation n’est pas fondée {59} . Dis-lui encore que, par amour pour lui et pour reconquérir sa faveur que j’ai perdue pour une mauvaise cause, je m’en remettrai au jugement de sa cour.
« Cependant, si c’est à cause de la mort de ses neveux, ajouta-t-il, qu’il a entrepris de me faire la guerre, dis-lui que cette mort ne doit point me valoir sa haine, car ceux qui ont été tués ont péri victimes des calomnies qu’ils répandirent eux-mêmes sur mon compte. Enfin, si le roi refuse de convenir de ces deux choses, avertis-le que je ne me plierai à l’obligation qu’il m’impose qu’à contrecœur et avec infiniment de chagrin. Toutefois, si je suis résolu à me défendre jusqu’au bout, en revanche, assure-le qu’il n’a personnellement rien à redouter de ma part et que je suis toujours prêt à le défendre de toutes mes forces contre quiconque lui voudrait du mal. Voilà quel message je te demande de transmettre au roi. » La jeune fille consentit volontiers à s’acquitter de cette mission et, aussitôt, elle sortit de la forteresse par une porte secrète.
Vers l’heure de midi, le roi Arthur se trouvait assis, à déjeuner devant son pavillon quand la messagère lui fut amenée. Elle était passée sans encombre à travers les tentes, chacun se doutant de la mission qu’elle venait remplir. Elle reconnut facilement Arthur parmi ses barons, s’approcha de lui et lui transmit le message de Lancelot.
Après avoir écouté attentivement, Gauvain, qui se tenait près d’Arthur, prit la parole avant que quiconque n’eût soufflé mot : « Roi ! s’écria-t-il d’une voix pleine de colère, si tu es prêt à venger ta honte et la perte de tes amis sur le responsable, Lancelot, n’écoute pas ce que débite cette jeune fille ! Avant de quitter Kamaalot, tu as juré, souviens-toi, d’anéantir la parenté du roi Ban. Je te le rappelle, seigneur roi, parce que tu es maintenant en mesure de nous laver des affronts que nous avons subis. Si tu agis autrement, tu te déshonores ! Et ton lignage serait humilié pour jamais si tu faisais ta paix avec Lancelot !
— Gauvain, riposta Arthur, la chose en est au point que jamais de ma vie Lancelot n’obtiendra ma paix, quoi qu’il puisse dire et faire. Il est pourtant l’homme auquel je devrais le plus facilement pardonner un méfait, car, assurément, il a accompli pour moi plus d’exploits que quiconque. Mais ses services, il me les a fait payer finalement trop cher, puisqu’il m’a ravi les parents qu’en dehors de toi j’aimais le plus chèrement. Cela exclut toute possibilité de réconciliation entre lui et moi, et il n’y en aura jamais, je te l’affirme en ma qualité de roi. » Puis, se tournant vers la jeune fille, il reprit : « Demoiselle, tu peux aller dire à ton maître que, loin de faire rien de ce qu’il demande, je lui promets une guerre à mort ! »
La jeune fille reprit la parole en regardant fixement le roi. « Seigneur Arthur, dit-elle, ton obstination n’est pas bonne, et cette guerre ne t’apportera rien de ce que tu recherches. Souviens-toi d’un rêve que tu fis jadis et dont tu demandas le
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