La mort du Roi Arthur
et, sans autre cérémonie, la conduisit à l’église où le mariage fut célébré. Sur ce, se tint un grand festin qui, dans la grande salle de Carduel, fut servi par le sénéchal Kaï. Après avoir bu et mangé, on se rendit dans la prairie, devant la forteresse, où jeux et tournois se succédèrent jusqu’à la tombée de la nuit dans la joie et l’allégresse générale.
Or, se trouvait ce jour-là à la cour un chevalier du nom d’Éliavrès, lequel était des plus experts en sorcellerie et envoûtements. Il avait séjourné de longs mois auprès de gens qui enseignaient les sortilèges en Écosse et, sans que personne s’en doutât, il était devenu le plus redoutable des magiciens du royaume. Le malheur voulut qu’Éliavrès, ce jour-là, ne cessa d’admirer la belle Ysave et en tomba éperdument amoureux. Aussi décida-t-il en lui-même de l’obtenir coûte que coûte et, dès lors, il la poursuivit avec tant d’assiduité, l’ensorcela, l’enchanta et l’apprivoisa si bien à force de magie, de ruse et d’incantations qu’il en fit sa complice. Au moment où le roi de Vannes s’imagina la posséder, il ne s’aperçut pas qu’il couchait avec une levrette. Abusé par l’enchanteur, il n’y voyait goutte et pensait accoler sa femme. La nuit suivante, l’enchanteur sut de même le faire coucher avec une truie tandis que lui-même prenait son plaisir avec la belle Ysave. Enfin, la troisième nuit, c’est avec une jument que dormit le roi {10} . Or, au cours d’une de ces nuits, la dame conçut, mais nul ne s’aperçut jamais de la duperie.
Lorsque la cour se sépara, le roi Arthur distribua maints cadeaux superbes ; puis le roi de Vannes et sa femme s’en retournèrent dans leurs domaines, et l’enchanteur s’en fut de son côté. Au terme marqué pour sa grossesse, la reine Ysave mit au monde un fort beau garçon. La joie fut grande dans le pays, et l’on s’empressa de baptiser l’enfant auquel on donna le nom de Karadoc. Après de nombreuses nourrices, il eut, dès l’âge de cinq ans, un maître très savant qui, pour développer sa valeur et son intelligence, lui enseigna une foule de choses. Ainsi éduqué, il acquit une réputation d’habileté et de sagesse que rien ne devait plus démentir. Et, le moment venu d’en faire un chevalier digne de ce nom, on ne manqua pas de l’envoyer à la cour du roi Arthur, accompagné de jeunes gens de son âge qui désiraient aussi ardemment que lui être admis parmi les plus braves de la Table Ronde.
Le roi Arthur se trouvait alors à Carduel. Aussitôt prévenu de l’arrivée de l’adolescent et de son escorte, il alla au-devant d’eux et les accueillit joyeusement. Il prit à part Karadoc et l’emmena dans la forêt pour parfaire son éducation. Il lui montra comment attraper le gibier, comment tenir sur son poing un rapace et comment lui donner l’essor au meilleur moment, comment chevaucher au mieux parmi les arbres, et mille autres choses utiles à un chasseur comme à un guerrier. À leur retour dans la forteresse, il lui enseigna de quelle façon se montrer sage et prudent, acquérir de bonnes manières, jouer aux échecs, au trictrac et à tous les jeux que doit connaître un jeune noble. Il ne manqua pas de lui rappeler non plus les devoirs élémentaires de tout chevalier envers les dames et les jeunes filles dans le besoin. Il lui rappela encore qu’en tant que fils de roi, il ne devrait jamais mépriser un pauvre chevalier mais l’estimer selon sa vaillance et ses capacités. En quelques jours, Arthur s’efforça, par ses paroles et par son exemple, de convaincre Karadoc qu’un bon roi ne fait jamais défaut à ceux qui attendent de lui conseil et secours. Et Karadoc se montra si bon élève que tous ceux de la Table Ronde lui vouèrent autant d’estime que d’admiration et qu’Arthur décida de l’adouber la veille de la Pentecôte.
Karadoc veilla toute la nuit, sans dormir ni sommeiller, en compagnie des autres jeunes gens, fils de barons et de grands seigneurs pour la plupart et, le moment venu de la cérémonie, c’est Gauvain, fils du roi Loth, qui lui chaussa l’éperon droit, tandis qu’Yvain, fils du roi Uryen, lui chaussait le gauche. Alors, le roi Arthur lui ceignit l’épée et lui donna la colée en disant : « Beau neveu, que Dieu te donne la grâce d’être chevalier valeureux et fidèle à ta parole. » Et après que des compagnons de la Table Ronde eurent chaussé
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