La mort du Roi Arthur
longtemps prisonnier. La journée était fort belle et le soleil, étincelant, inondait de ses rayons l’ensemble de la pièce.
Aussi l’attention du roi se porta-t-elle naturellement sur les peintures qui la décoraient et qui, chacune assortie d’une légende explicite, représentaient les exploits de Lancelot du temps où il était tout jeune chevalier. Arthur s’approcha et, une à une, reconnut là toutes les prouesses dont lui parvenaient les nouvelles à la cour au fur et à mesure que Lancelot les accomplissait. Mais quand il en vint aux images qui racontaient la rencontre avec Galehot, il en fut tout ébahi et soudain rempli de sourde inquiétude. « Par ma foi ! se dit-il en lui-même, si ce que prétendent ces inscriptions est véridique, force m’est d’admettre que Lancelot m’a couvert d’opprobre avec la reine. Et voilà qui me cause infiniment de peine, car j’avais toute confiance en lui, et il ne pouvait m’infliger pire déshonneur que de coucher avec la reine ! »
Le roi dit alors à Morgane : « Ma sœur, je te prie, en mémoire de notre mère, de me révéler la vérité entière à propos de ce que je vais te demander. » Elle lui promit toute la vérité, si elle le savait. « Jure-le ! » reprit Arthur. Elle le lui jura. « Je te demande donc de me dire, au nom de la foi que tu me dois, qui a peint ces images. Si tu connais la vérité, dis-la-moi sans crainte de me peiner. – Ah ! mon frère, répondit Morgane, que me demandes-tu là ? Si je te révélais toute la vérité et que l’auteur de ces peintures l’apprît, personne, hormis Dieu, ne pourrait l’empêcher de me tuer ! – Par Dieu tout-puissant, il te faut pourtant me la révéler ! Quant à moi, je te jure, en ma qualité de roi, que tu ne seras jamais mise en cause. – Mon frère, je t’en supplie, dispense-moi de parler. – Non, tu as juré de le faire ! – Eh bien, soit, je te dirai tout sans mentir. Mais je te préviens qu’il n’en résultera rien de bon ni pour toi ni pour moi. En peu de mots, la vérité, si tu l’ignores encore, est que Lancelot aime la reine Guenièvre d’un amour coupable, et ce depuis le jour où il reçut l’ordre de chevalerie. C’est pour l’amour d’elle qu’il a accompli chacune de ses prouesses depuis lors. »
Le roi Arthur hocha tristement la tête. « La chose est à peine croyable, murmura-t-il. – Tu aurais pu t’en apercevoir depuis longtemps, repartit Morgane. Par exemple, la première fois où tu es venu au Château de la Douloureuse Garde et n’as pu y entrer. Tu as alors envoyé en ton nom l’un de tes chevaliers, Kaï, je crois, et si ce chevalier est entré, c’est sans doute qu’il avait toute la confiance de la reine et de Lancelot. Tu n’y as pas fait attention, mais d’autres s’en sont aperçus. – Il est vrai, dit le roi, je n’ai rien remarqué, mais cela ne prouve rien. » Morgane se mit à rire. « Es-tu naïf, mon frère ! reprit-elle. Je pourrais t’en dire bien davantage, en ce qui me concerne ! – Parle, Morgane, sans rien me cacher.
— Sache donc que Lancelot a aimé la reine plus qu’aucun mortel ne saurait aimer une femme mais, au début, sans le lui avouer aucunement. Il s’est contenté d’accomplir pour elle toutes les prouesses qui sont ici représentées. Sans doute, ce faisant, espérait-il que la reine fît le premier pas. Là-dessus, intervint Galehot, seigneur des Îles Lointaines et fils de la Géante. Souviens-toi du jour où Lancelot, revêtu d’armes noires, régla, grâce à sa victoire, le différend qui t’opposait à Galehot. Il scella ensuite la paix entre vous deux si bien que l’honneur t’en revenait entièrement. Or, Galehot s’était aperçu de l’amour que Lancelot portait à la reine et, le voyant plus languissant de jour en jour et chagrin au point d’en perdre le boire et le manger, sut le presser si doucement que Lancelot lui avoua tout. Il lui dit alors de ne pas désespérer et se fit fort d’amener la reine à se rendre à ses désirs. Et c’est ce qui advint, effectivement. {53}
— Tu m’en as suffisamment dit, murmura le roi, et je lis trop nettement sur ces murs ma honte et la trahison de Lancelot. Mais qui donc a peint ces scènes ? – Lancelot lui-même, répondit Morgane. Te souvient-il des deux tournois de Kamaalot au cours desquels les compagnons de la Table Ronde refusèrent de jouter contre le camp de Lancelot parce qu’il obtenait toujours la
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