La mort du Roi Arthur
connaissance de la vérité, s’en prenait à Lancelot, c’en serait fait des compagnons de la Table Ronde. Non seulement le royaume d’Arthur s’en trouverait déshonoré, mais il perdrait le plus fidèle et le plus valeureux de tous ses soutiens.
Demeuré seul avec ses trois autres neveux, le roi les emmena dans une petite salle, près d’un jardin, referma soigneusement la porte et les conjura, au nom de la foi qu’ils lui devaient, de satisfaire à sa demande. Il s’adressa d’abord à Agravain mais celui-ci, comprenant qu’il était allé trop loin, répondit qu’il ne parlerait pas et que mieux valait interroger ses frères. Or, Gareth et Mordret observèrent un prudent silence. « Puisque vous ne voulez pas parler, s’emporta le roi, de deux choses l’une : ou vous me tuerez ou je vous tuerai ! » Ce disant, il se précipita sur une épée posée là, sur un lit, la tira du fourreau et marcha droit sur Agravain, s’affirmant prêt à le tuer sans hésitation s’il n’apprenait pas le sujet de la discussion. Et il brandit si bien l’arme au-dessus de la tête d’Agravain que celui-ci, le voyant littéralement hors de lui, s’empressa de crier qu’il révélerait tout.
« Je disais à Gauvain, Gahériet et à mes deux autres frères ici présents qu’à souffrir si longtemps la honte et le déshonneur que t’inflige Lancelot du Lac, ils se conduisaient en traîtres et en gens déloyaux. – Et comment Lancelot me déshonore-t-il ? insista le roi. Tu en dis trop et pas assez, parle ! De quoi s’agit-il ? Tu portes là une accusation des plus graves et qui me peine d’autant plus que j’aime extrêmement Lancelot et l’ai toujours considéré comme un fidèle entre les fidèles. Il n’a donc pas lieu de me faire honte. – Tel est pourtant le cas, repartit Agravain. Il t’est si fidèle et si loyal qu’il te bafoue avec la reine, ta propre femme qu’il connaît charnellement toutes les fois qu’il en a l’occasion. »
En entendant ces paroles, le roi changea de couleur et pâlit. Ainsi donc, les images qu’il avait vues dans la chambre du manoir de Morgane étaient le reflet trop exact de la réalité, et sa sœur n’avait pas tort de le presser de se venger ! À le voir absorbé dans ses sombres pensées, Mordret dit alors d’un ton faussement apitoyé : « Roi, nous comprenons ton chagrin et ta déception. Nous t’avons caché la vérité autant que nous l’avons pu mais, à présent, il faut bien qu’elle éclate et que nous la révélions. Certes, aussi longtemps que nous nous sommes tus, nous nous sommes conduits en parjures et montrés déloyaux envers toi. Maintenant, nous nous acquittons de notre devoir en te découvrant tout. Vois donc comment tu pourras laver l’infamie. »
Ne sachant quelle décision prendre, Arthur demeura un long moment silencieux. Il se savait contraint d’agir, puisque sa honte devenait désormais publique, et il finit par dire : « Si vous avez jamais éprouvé quelque affection pour moi, arrangez-vous pour prendre les coupables sur le fait. Si je ne tire vengeance d’eux comme il sied vis-à-vis de traîtres, je renonce à porter la couronne. – Mon oncle, intervint Gareth, réfléchis bien : c’est une entreprise redoutable que de faire périr un homme aussi vaillant que Lancelot. Il est fort et hardi, comme ceux de sa parenté. S’il venait à mourir au nom de ta justice, son frère et ses cousins ne manqueraient pas de te faire une guerre si violente et si acharnée que les seigneurs de ton royaume, si braves soient-ils, auraient fort à faire pour éviter le pire. Et toi-même, si Dieu ne s’en charge, tu courras le risque d’être tué, car ils ne reculeront devant rien, je le sais, pour venger Lancelot. Sa mémoire leur sera plus chère que leur propre salut. – Ne t’inquiète pas pour moi, répondit Arthur. Faites ce que je vous demande et essayez de les surprendre, Guenièvre et lui. Lorsque vous êtes devenus compagnons de la Table Ronde, vous avez juré de m’obéir, n’est-ce pas ? Voici venu le moment de me prouver que vous respectez vos engagements. » Tous trois promirent alors de surveiller Lancelot et la reine et, prenant congé du roi, s’en retournèrent dans la grande salle.
Ce soir-là, Arthur se montra d’une humeur si morne que, dans son entourage, nul ne put ignorer qu’il ne fût fâché. Dès leur arrivée, Gauvain et Gahériet devinèrent, à sa seule vue, que leurs frères
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