La mort du Roi Arthur
de toutes les autres femmes : je vois sa chevelure sombre flotter au vent. » {52}
La voix se tut, et Morgane demeura rêveuse. « Je sais tout cela, dit-elle enfin, mais que dois-je faire ? – Puisque tu es cette femme dont la chevelure flotte au vent, là-haut, sur le tertre, assume tes pouvoirs, Morgane, car là est ton royaume, et il t’appartient d’y régner. Pendant longtemps, tu as erré sur la terre en t’efforçant par tous les moyens d’y assurer ton règne. Le moment est venu de régner : réveille le dragon, voilà tout ce que je puis te révéler. » Alors, la voix de Merlin se tut. Morgane tenta plusieurs fois de l’évoquer encore, mais seul le vent répondit aux appels. Comprenant que Merlin ne lui parlerait plus, elle quitta le verger et rentra dans le manoir. Une fois dans sa chambre, elle se jeta sur son lit et chercha le sommeil, mais le sommeil fut long à s’emparer d’elle, tant elle était agitée de pensées confuses et contradictoires.
Au matin, dès qu’il fit jour, elle se leva et se rendit dans la chambre qu’elle avait fait attribuer au roi. Il ouvrit les yeux et, la voyant debout devant lui : « Qu’y a-t-il, ma sœur ? dit-il. – Mon frère, répondit Morgane, je te demande une faveur en échange de tous les services que j’ai pu te rendre. » Arthur éclata de rire. « Ma sœur ! s’écria-t-il, il faut reconnaître que, par le passé, tu as plutôt songé à me nuire par tous les moyens qu’à me rendre des services ! Enfin, les choses étant ce qu’elles sont, je t’accorde cette faveur, à condition qu’elle soit compatible avec mon honneur et avec celui du royaume. – Elle l’est d’autant plus, dit Morgane, qu’elle ne se soucie précisément que de ton honneur. Tu m’as en effet promis de séjourner ici aujourd’hui et demain. Sache que si tu étais dans la meilleure de tes forteresses, dans la plus riche de tes cours, tu ne pourrais être mieux servi ni mieux traité que chez moi, car tu ne saurais rien demander que tu ne l’obtiennes immédiatement. » Le roi répondit qu’il resterait puisqu’il l’avait promis. « Mon frère, reprit Morgane, tu te trouves dans la maison où l’on te désirait le plus. Sois assuré qu’il n’est femme au monde qui t’aime plus que moi. »
Le roi se mit à sourire. « Il n’en a pas toujours été ainsi, dit-il. Il me souvient même d’un temps où tu t’acharnais contre moi ! – J’ai compris mes erreurs en reconnaissant que l’affection fraternelle était plus puissante que tout le reste. Je ne suis peut-être pas la fille d’Uther Pendragon, mais nous avons tous deux la même mère, tu ne devrais pas l’oublier. – Je n’oublie rien, ma sœur. Aussi vais-je à mon tour te prier de revenir à la cour. Mes compagnons sont quelque peu désemparés ces temps-ci, et les aventures leur manquent. Ta présence sera la bienvenue, et tu réussiras sans doute à mettre un peu de joie et de gaieté dans la morosité qui m’entoure et qui m’oppresse davantage de jour en jour. » Morgane regarda fixement Arthur : « Mon frère, dit-elle, il s’agit de pis que de morosité. Quelque chose est pourri dans ton royaume, il est rongé de l’intérieur. Ta cour ne connaît plus qu’intrigues, fourberies et mesquineries. Non, je n’irai certes plus à la cour. Tes Chevaliers s’écartent de moi comme s’ils avaient peur. – Conviens que tu leur as donné jadis quelques raisons de te craindre. En réalité, tous te respectent et t’admirent, sois-en sûre. Quant à la reine, elle serait ravie de ta compagnie. » Morgane éclata de rire. « Mon pauvre frère ! s’écria-t-elle, ne comprends-tu pas que ta femme me hait ? Elle m’a trop longtemps supportée, et je ne vois pas ce qui la ferait changer de sentiments à mon égard. Non, je n’irai pas à ta cour. En partant d’ici, je me rendrai directement dans l’île d’Avalon où résident des femmes expertes en l’art des enchantements. Il est temps que je règne, moi aussi. »
Sans rien répondre, Arthur s’habilla, s’assit sur son lit en faisant asseoir sa sœur près de lui, la questionna sur son état et sur ses projets. Elle lui en révéla une partie, lui cachant l’autre soigneusement. Ainsi demeurèrent-ils en conversation jusque vers le milieu de la matinée. Alors, sous prétexte de l’emmener se promener dehors, Morgane s’arrangea pour faire traverser à Arthur la chambre où Lancelot avait été si
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