La nièce de Hitler
direction du Jardin anglais. Eva, dit-il, avait été
envoyée chercher des Weißwurt et des bières Thüringer et Augustiner. Ils
mangèrent et burent tous les trois, et juste avant qu’elle rentre chez ses
parents, Hoffmann apprit à Eva qu’elle venait de bavarder avec Adolf Hitler – que
son père, un instituteur, détestait. Comme elle ne s’entendait pas bien avec
son Vati, elle en fut tout excitée. Quelques jours plus tard, Hitler
rendait visite à Eva au studio, avec un bouquet de fleurs, une boîte de
pralines Most, une photographie dédicacée, et une invitation pour une matinée à
l’Opéra en sa compagnie.
— Quel opéra ?
— Elle ne me l’a pas dit.
— Elle n’est pas férue d’opéra ?
— Ah ! Oh, Geli, vous n’avez pas
idée à quel point cette idée est comique !
Le photographe émit une autre série de ah !
sonores, et tourna dans Prinzregentenstraße.
— Elle est superficielle, donc, dit Geli.
— Eh bien, par exemple, je faisais
allusion au fait qu’Hitler aime les femmes bien en chair, et je l’ai surprise à
rembourrer son soutien-gorge avec des mouchoirs. Alors, je lui ai dit que j’avais
envie d’éternuer, ah ! ah !
— Ils se voient souvent ? demanda
Geli en s’efforçant de ne pas avoir l’air trop curieuse.
— De temps en temps, pas souvent. L’après-midi.
Son visage se fit envieux. Des yeux de veuf, pensa-t-elle.
— Les soirées sont pour vous, poursuivit-il.
— Est-ce qu’il essaie de garder tout ça
secret ?
— Voyons, comment dire ? Le Führer
ne met pas tous ses œufs dans le même panier. Nous n’en verrons jamais la
moitié. Vous êtes fâchée ? demanda-t-il en se tournant vers elle.
Geli haussa les épaules et regarda par la
vitre.
— Pourquoi le serais-je ?
Ils roulèrent un instant en silence, et elle
ajouta :
— Ce n’est pas comme si nous étions
mariés.
Elle ne resta pas
plus de cinq minutes dans l’appartement. Elle entendit Maria Reichert qui
passait l’aspirateur dans le salon et regarda les canaris marcher et se
balancer sur leur perchoir, puis elle se leva et alla reprendre un trolley en
direction de Schwabing.
Elle n’avait pas de but précis en tête. Elle
entra dans le studio de photographie de Schellingstraße et se trouva nez à nez
avec Eva Braun, qui triait des paquets de négatifs sur un comptoir. C’était une
petite blonde nordique, plus petite que Geli d’une douzaine de centimètres. Un
corps de gymnaste. Un visage ovale et une bouche gourmande, et les yeux bleu
Delft de la mère d’Hitler. Elle ne sembla pas savoir qui était Geli. Et Geli se
rendit compte qu’elle avait eu ce qu’elle voulait.
— Le siège du parti nazi ? demanda-t-elle.
Eva se mit sur la pointe des pieds pour
désigner l’autre côté de la rue.
— Là.
Ses cauchemars l’avaient
réveillée, et elle lisait Le Loup des steppes vêtue de son pyjama jaune
lorsque, sentant une présence dans la pièce, elle eut la surprise de voir son
oncle sur le seuil, son chapeau mou à la main, son veston de lainage gris
encore tout boutonné.
— Vous êtes rentré, dit-elle. Où
étiez-vous ?
— Je parlais, dit-il. Parler, toujours
parler. Il est trois heures et demie, ajouta-t-il en évitant son regard.
— Je ne ferai pas de bruit.
Sa main souleva sa mèche et l’aplatit.
— Ce n’est pas ça. Je n’arriverai pas à m’endormir.
J’ai bu toute une théière de thé vert.
Elle voyait bien qu’il essayait de dire autre
chose, mais elle n’avait aucune idée de ce que cela pouvait bien être.
— Tu veux bien aller réveiller Frau
Reichert pour moi ? demanda-t-il.
— À cette heure-ci ?
— Elle saura quoi faire.
Elle se leva du lit et noua son peignoir.
— Je le ferai.
— C’est nouveau ?
— Le pyjama ? Je l’ai acheté aujourd’hui.
— Grâce à moi, précisa-t-il inutilement. Il
est très beau.
— Je vous remercie pour tout.
Hitler hésita, introverti et mal à l’aise dans
la terra nova de sa nièce. Puis, d’un ton aussi brusque que le
claquement de doigts d’un maître d’hôtel, il lui lança en se retirant dans sa
chambre :
— Très bien.
Puis il ajouta, comme pris d’un regret :
— Retire le peignoir.
Elle obéit et le suivit, inhibée par le
balancement de ses seins sous le haut de pyjama jaune.
— Reste là un instant, l’entendit-elle
dire.
Et elle resta dans le couloir, sans savoir où
mettre ses mains, ses pieds commençant à
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