La parade des ombres
mêmes pratiques. Ils avaient été ennemis autrefois, dans la guerre de la Grande Alliance, sans pour autant s’être rencontrés. Tous trois savaient la course, ils en avaient gardé le panache et les façons.
Ils talonnèrent et agacèrent le galion une heure durant, le canonnant à tout-va. L’azur s’en était obscurci, et l’on étouffait, les narines brûlées par les odeurs de poudre et de fumée. Le galion faiblissait pourtant, craquant de toutes parts sous la vindicte des trois frégates. Lorsque le mât d’artimon s’effondra, fauché par des boulets ramés, les batteries cessèrent de cracher, et tous se préparèrent à l’abordage.
Le Bay Daniel et le Victory de Duncan enserrèrent ses flancs lourds, chacun d’un bord dans un ensemble parfait, tandis que L’Elégante de Barks verrouillait par le gaillard d’arrière.
Des trois navires, les grappins furent lancés, s’accrochant aux haubans et au bastingage. En quelques minutes, jaillissant de partout comme des fourmis organisées, sabre, hache et pistolets chargés à la ceinture de toile, couteau entre les dents, les matelots se lancèrent à l’assaut du galion, grimpant le long de ces passerelles de corde pour atteindre le bord.
Mary et Junior s’étaient précipités d’un même élan. Elle avait failli retenir son fils, comme Corneille autrefois avait tenté de l’empêcher d’y goûter. Elle s’était fait violence devant son regard suppliant. Junior avait besoin du combat comme son père et elle. Il ne servirait à rien de vouloir l’en détourner. Elle refusa d’entendre son angoisse de mère et se jeta dans la mêlée.
Le combat faisait rage partout. Dans les vergues, les focs, aux perroquets, sur les gaillards et jusqu’aux cabines.
Ce n’était que tuerie, furie. Mary pouvait bien se mentir, elle voyait Junior y prendre plaisir. Un plaisir identique au sien.
Trois heures plus tard, une mare de sang rougissait les ponts du galion et quelques-uns des leurs y étaient restés. Junior était blessé à l’épaule. Une légère estafilade dont il se glorifia.
— Ils étaient trois, tu as vu, la Barbette, et toi, Comil ? Trois à vouloir me prendre ! exagérait-il en mimant sa défense.
— Dix, pendant que tu y es ! se moqua Mary. Va donc faire soigner cette coupure. Elle te laissera une belle cicatrice pour que tu puisses te vanter.
— Je l’espère bien, Mary ! lâcha Junior en se précipitant vers Corneille, plutôt que vers le chirurgien.
Mary soupira, regrettant un instant l’époque où Junior l’appelait maman. Corneille avait raison, il était un homme à présent. D’une certaine manière, et quoi qu’elle fasse, elle l’avait déjà perdu.
Elle passa une main lasse sur son front. Cette fois encore, il était brûlant. Depuis sa fausse couche, moins d’une semaine plus tôt, elle avait parfois des excès de cette nature. Ils duraient quelques minutes tout au plus. Elle se promit d’en parler à Jambe-Torte, le chirurgien de bord. Il lui donnerait certainement quelque chose de plus approprié que le rhum.
Sur les trois frégates, on s’activait à ramener les blessés et à répartir le butin. Mary aperçut Corneille qui pénétrait dans le gaillard d’arrière du galion avec Duncan et Junior. Elle décida de les rejoindre.
Duncan malmenait le commandant de bord lorsqu’elle pénétra dans la cabine. Visiblement, ce dernier ne s’en laissait pas intimider.
— De quoi s’agit-il ? demanda-t-elle.
— Monsieur possède une carte étalée sur sa table, avec l’emplacement d’une île marquée d’une croix. Apparemment celle d’un trésor, ajouta-t-il.
Mary glissa un œil sur ladite carte et retint un sourire.
— Je vois, dit-elle en s’approchant du commandant du galion, qui goûtait fort peu le rôle qu’on l’obligeait à jouer.
Mary remonta la pointe de son sabre et la lui appuya sous le menton.
— Tu ferais mieux de répondre à nos questions, gronda-t-elle, pour le contraindre à servir leurs intérêts.
— Allez au diable, vous et vos manigances. Je ne me prêterai pas à…
Le reste de sa phrase se perdit dans un gargouillis. Mary n’allait pas gâter les efforts de Corneille et le plaisir de Junior pour un si triste sire.
— Il allait parler, maman ! s’indigna Junior, oubliant soudain qu’elle ne devait plus être que Mary.
— Nous n’avons pas besoin de lui, répliqua Mary. Je suis sûre qu’en comparant la configuration de cette île à
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