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La parade des ombres

La parade des ombres

Titel: La parade des ombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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Elle n’en avait jamais parlé.
    — Quand serons-nous prêts à lever l’ancre ? demanda-t-elle pour faire diversion.
    — Madame a déjà des fourmis dans les pieds ?
    Le sujet était clos, il l’avait compris. Avec Mary Read il était inutile d’insister.
    — Comme si tu l’ignorais, lui sourit-elle.
    Elle se tourna vers l’aubergiste qui essuyait ses verres avant de les ranger. Malgré ses quarante ans, il était encore bel homme. Dégarni, le visage avenant, le sourire énergique. S’il n’avait eu cet embonpoint propre aux gens de son métier, Mary aurait pu le trouver à son goût. Et tout à la fois, c’était aussi cette enveloppe de bonhomie qui le lui faisait aimer.
    — Je prendrais bien de ton ragoût de porc s’il est prêt, lui dit-elle.
    — Le temps d’y ajouter de la mort-aux-rats et tu l’auras dans l’assiette, repartit celui-ci en riant.
    Corneille soupira, cueilli lui aussi par leur complicité.
    « Ces deux-là n’en finiront jamais », songea-t-il. Gave-Panse s’en venait déjà à pas pressés pour la satisfaire. Il n’en était pas un sur cette île qui ne rêvât d’une compagne qui lui ressemblerait. Pas un sur cette île qui ne rêvât d’elle. Il en était à la fois agacé et fier. Pas véritablement inquiet.
    — Je me suis associé avec Barks et Duncan, lâcha Corneille tandis que Mary plongeait avidement sa fourchette dans le plat que l’aubergiste avait posé sous son nez.
    Le fumet embaumait les épices. Bananes et ananas confits adoucissaient le morceau de jarret, et Corneille ne résista pas à l’envie de plonger ses doigts dans l’assiette. Mary les piqua des dents de sa fourchette.
    — Pas touche.
    — Juste pour goûter, insista-t-il, finalement affamé de la voir se régaler.
    — Gave-Panse, appela Mary sans céder, l’œil plus amusé que fâché, Corneille est jaloux.
    — Que veux-tu que ça me fasse ? gronda l’autre.
    — Jaloux de mon assiette, rectifia-t-elle.
    Gave-Panse ne répondit pas, mais se hâta d’y remédier.
    — C’est une bonne idée, déclara Mary, suivant le fil de ses pensées.
    — Je trouve aussi, affirma Corneille en goûtant son plat.
    — Je parlais des Anglais, souligna-t-elle, pas de ta gourmandise. A trois navires, nous pourrons nous offrir de meilleures prises.
    — Junior est aussi de cet avis. Il a pris de l’envergure, cette année. Il s’ennuie de devoir se contenter de barcasses. Je crois qu’il rêve toujours secrètement de ton trésor.
    — Le seul trésor qui en vaille la peine, c’est la liberté, Corneille. Tu le sais bien, c’est toi qui me l’as appris, ajouta-t-elle en lui décochant un clin d’œil.
    — Junior a l’impétuosité de son âge. Il veut plus que cette liberté. Je crains que cela ne lui suffise bientôt plus.
    — Que ferions-nous d’un trésor ? D’un vrai trésor, j’entends, de l’envergure de celui que j’ai abandonné à Emma de Mortefontaine ? Serions-nous plus heureux de le posséder ? Nos prises nous offrent ce dont nous avons besoin, que pourrais-je demander d’autre à la vie ? Nous avons tout et plus encore.
    — C’est vrai. Mais je voudrais que tu prennes la mesure de ce qui se passe dans la tête et le cœur de Junior. Tôt ou tard, si nous nous bornons à des prises médiocres…
    — Médiocres ? Ce qualificatif est-il de lui ?
    — Oui.
    Mary soupira. Elle ne pouvait nier l’évidence. Junior n’était plus le garnement d’autrefois. Elle aussi avait rêvé de montagnes d’or et de pierres précieuses, elle les avait rêvées dans le souvenir de Cecily, comme une revanche. Elle comprenait que Junior en ait envie. Souvent, lorsqu’un navire marchand à fort tonnage était signalé au loin, elle le voyait crisper ses poings de colère et de regret. Jusque-là, elle n’y avait pas attaché d’importance. Mais elle avait connu cette frustration, longtemps, avant d’admettre qu’elle n’éprouverait pas davantage de plaisir à chasser plus gros gibier.
    L’essentiel était là. Vivre intensément, totalement et pleinement. Quelle importance ce qu’ils enlevaient, tant qu’ils y prenaient le nécessaire ? L’indispensable pour pouvoir jouir chaque matin de ce qui les entourait ?
    — A quoi songes-tu ? demanda Corneille.
    Mary écrasait les bananes sous sa fourchette, machinalement.
    — A ce que tu viens de dire. Cette association me plaît tout autant qu’elle m’inquiète, en fait. Tu sais comme moi que

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