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La parade des ombres

La parade des ombres

Titel: La parade des ombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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se montrant douillette.
    A mi-chemin, elle se tourna vers l’aubergiste et gueula :
    — Apporte-moi du rhum, Gave-Panse, que je noie ta mangeaille avariée.
    — Avariée, ma mangeaille ? s’emporta celui-ci en se hâtant pourtant d’obtempérer. Mon cul, oui ! Y a rien qui peut l’égaler.
    A peine fut-elle arrivée dans la chambre qu’elle se laissa choir sur le lit.
    — Je suis en train d’avorter.
    — J’avais compris. Que puis-je faire ?
    — Rien. La nature y pourvoira. Je voulais juste t’avertir. Mais pas de cette manière-là, grimaça-t-elle.
    Corneille déposa un baiser sur son front.
    — Tu es brûlante.
    — Le rhum me guérira.
    — Rabats donc cet orgueil stupide, la sermonna-t-il. Je serai plus rassuré quand le médecin viendra.
    Mary sourit légèrement et s’apprêtait à lui répondre lorsqu’on toqua à la porte. Corneille se précipita.
    — S’il y a besoin d’autre chose, déclara l’aubergiste en lui tendant un pichet et un gobelet.
    — Que tu fermes ta grande gueule, exigea Mary.
    — Comme si j’avais l’habitude de jacter, grinça-t-il.
    Mary s’en amusa malgré sa souffrance. Gave-Panse, comme était surnommé l’aubergiste, était un ami fidèle. Ils se cherchaient sans cesse de la sorte, s’amusant à se détester pour cacher la vraie tendresse fraternelle qui les unissait. C’était ainsi depuis le jour de leur rencontre. Pour rien au monde Gave-Panse n’aurait voulu montrer la faiblesse qui le tenait. Le jeu de Mary l’aidait à donner le change, même si, au fond, personne n’y croyait. Tous savaient qu’il avait atterri à la Tortue davantage par hasard que par goût.
    Les contractions redoublèrent de puissance. Avant longtemps, c’en serait terminé.
    — Rends-toi en cuisine. De l’eau doit y bouillir pour le repas qui s’annonce. Ramènes-en dans un baquet avec des linges.
    — Tu es sûre ?
    — J’ai déjà accouché, Corneille.
    — C’est pas pareil, objecta-t-il.
    — Ben voyons. Va donc, te dis-je. Je ne veux pas d’un charlatan pour m’écarter les cuisses et me dire ce que je sais déjà.
    Corneille hocha la tête, se sentant soudain idiot. Le regard de Mary venait de lui rappeler à qui il parlait. Depuis qu’elle était enceinte, il avait failli l’oublier.
    Moins d’une heure plus tard, tout était réglé. Elle avala d’une traite la bouteille de rhum pour se guérir tout à fait, avant de se coucher, ivre, à côté de Corneille, bien plus déprimé qu’elle ne l’était.
     
    — Je suis prête à prendre la mer, assura-t-elle le lendemain matin dans la salle commune de l’auberge, en déchirant à pleines dents une tranche de lard séché.
    Elle avait adopté les habitudes de l’île et son petit déjeuner avait la saveur sauvage de sa nouvelle vie.
    — Ravi de voir que ton appétit revient, déclara Gave-Panse en lui servant une rasade du vin qu’elle avait commandé.
    — Pas le choix, répliqua-t-elle l’œil narquois, même ton rhum était frelaté. Il m’a donné la migraine.
    — Tant mieux, dit-il en s’éloignant, tu causeras moins.
    Corneille soupira :
    — Tu ne te fatigues jamais de le provoquer ?
    — Ça lui manquerait si j’arrêtais, tu le sais bien.
    Elle s’adossa à la chaise. Il y en avait peu dans l’établissement, les trois quarts des pirates se contentant de bancs grossiers, mais l’aubergiste s’arrangeait toujours pour que Mary ait la sienne.
    Elle extirpa sa pipe de sa poche, la bourra de tabac et l’alluma. Aspirant goulûment la fumée, elle poussa un soupir de bien-être.
    — Je pensais que cela t’attristerait, laissa tomber Corneille.
    — Quoi ?
    Elle réalisa aussitôt à son air crispé qu’il parlait de sa grossesse.
    — Arrive ce qui doit arriver, Corneille, répondit-elle en haussant les épaules.
    En quinze années à écumer les Caraïbes, elle avait eu le temps de devenir fataliste, se guérissant de tout ce qui avait été avant. Rien de tel que la ronde des jours sur l’horizon pour donner à l’homme la mesure de sa petitesse.
    Mary l’avait intégré tout en se grandissant de chaque tempête que le Bay Daniel affrontait avec courage, de chaque instant à goûter cette vie que Corneille et son fils lui offraient.
    — Tu as raison, je le sais, lui accorda-t-il, n’empêche que j’aurais aimé.
    — Moi aussi, mentit-elle pour le rassurer.
    Ce n’était pas sa première fausse couche, les autres étaient arrivées très tôt.

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