La parade des ombres
vieux frère ! Il ne manque pas de jolies filles à aimer, ajouta-t-il en arrêtant son regard sur la putain qui avait partagé sa couche et s’affairait à présent entre les tables, portant eau, vin et pain.
Elle s’immobilisa et s’arrêta à quelques pas de lui pour le provoquer. Il suivit d’un œil gourmand sa taille qui se courbait pour ramasser un couvert tombé à terre, s’y attardant pour se régaler du spectacle.
— Cette garce a un cul à faire bander un eunuque ! soupira-t-il bruyamment, navré de ne pouvoir la distraire encore de son travail, malgré les économies qu’elle lui volait chaque fois. Tu as des projets pour cet après-midi ?
— On m’a chargé d’une lettre pour Forbin. Il faut la lui remettre avant son départ pour Paris. J’allais m’y rendre.
— Je peux t’accompagner ?
— Si tu n’as rien de mieux à faire.
— Non, assura Tom, détournant les yeux de la fille qui disparaissait dans les cuisines.
Corneille le laissa terminer son repas, regrettant déjà ce qui allait se passer. Quelle qu’en soit l’issue, leur amitié ne serait jamais plus ce qu’elle avait été.
Mis dans la confidence, Jacques reçut les deux hommes avec civilité à Saint-Marcel.
— M. de Forbin se trouve à la cave, affirma-t-il.
L’idée était saugrenue, mais Tom ne s’en étonna pas.
Le capitaine était renommé pour ses excentricités.
— Voulez-vous l’attendre ici ou le rejoindre ? ajouta l’intendant, stylé.
— Qu’en pensez-vous ?
— J’en pense que cela risque d’être long. M. de Forbin s’entête à vouloir y retrouver une bouteille de cognac qu’il a terminée à sa dernière escale, expliqua Jacques, reprenant une anecdote dont il avait fait les frais quelques années auparavant.
— Nous allons descendre, décida Corneille.
Jacques allongea son pas. Il les guida jusqu’à la cave, traversant le vestibule pour arriver à la cuisine.
Dans l’angle droit de la pièce, encombrée d’un billot, d’une table, d’un four et d’une cheminée, une porte ouverte laissait entrevoir un escalier sommaire qui s’enfonçait vers une salle voûtée.
— Après toi, Tom.
Sans méfiance, celui-ci s’engagea sur la première marche. Se guidant à la lumière douce de la lanterne, il descendit en plissant les yeux, Corneille sur ses talons. L’endroit était encombré de tonneaux de vin et de caisses de bois. De nombreuses zones d’ombre y régnaient.
— Holà, capitaine, appela Tom pour le débusquer, s’avançant vers la lanterne qu’on avait posée sur une des barriques.
Il s’immobilisa net. Jaillissant de sa cache, Mary se dressa devant lui, son pistolet au poing. Il se retourna vers Corneille pour s’apercevoir que celui-ci le menaçait également.
— Qu’est-ce que ça veut dire ? grinça-t-il.
— Ça veux dire que j’ai suivi tes conseils, lâcha Corneille. J’ai cessé de pleurer sur Mary Read. Mieux, vois-tu, j’ai décidé de te la présenter.
Mary esquissa une courbette, un sourire mauvais aux lèvres.
— Mary Read ? Vraiment ? Eh bien, Mary Read, je ne goûte pas ton humour, mais puisqu’il plaît à Corneille…
Tom avança d’un pas dans sa direction, une main en avant, faussement amicale.
— Je te conseille de rester où tu es, lâcha Mary, menaçante.
Tom pivota vers Corneille.
— Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? s’insurgea-t-il.
— Désolé, Tom, mais Mary a quelques questions à te poser. Et j’attends tes réponses avec autant d’impatience qu’elle.
— Cette garce surgit de nulle part, veut me poser des questions, vous me menacez de vos pistolets, ricana Tom. Et tout ce que tu trouves à dire, c’est : « Désolé » ? Tu te moques de moi, Corneille ? Qu’a-t-elle pu te raconter qui justifie ça ?
Corneille soupira et abaissa son arme.
— Tu as raison. Ce n’est pas digne d’un ami. Ce que tu as fait non plus.
— Et qu’aide fait, morbleu ? s’emporta Tom.
— T’engager sur La Perle pour le compte de mon oncle, Tobias Read, et devenir l’ami de Corneille, déclara froidement Mary.
Tom ricana :
— L’amitié est donc un crime ?
— Travailles-tu pour Tobias Read, oui ou non ? demanda Corneille, agacé.
— Quelle différence cela fait-il ? le nargua Tom. Ce qui est important, c’est ce que tu crois, Corneille.
— Je crois que Mary dit vrai. Elle se souvient de toi à Saint-Germain-en-Laye, avança-t-il.
— De
Weitere Kostenlose Bücher