La parade des ombres
baisers.
Ann était restée plantée là, au milieu du couloir, jalouse de leur complicité. Idiote. Isabella était revenue vers elle, des étoiles pleins les yeux, la main refermée sur une pièce d’or.
— Ce Rackham est non seulement un amant merveilleux, mais, en plus, il sait parler aux femmes, avait-elle déclaré à Ann avec un soupir à fendre l’âme.
Ann s’était sentie rougir de la tête aux pieds, mais Isabella, tout à sa félicité, n’avait rien paru remarquer. La catin avait regagné sa chambre en chantonnant et Ann s’était rendue au chevet de sa voisine, davantage pour la questionner que pour la soulager.
Depuis, elle se languissait, rêvant d’adultère entre les bras de Rackham, et se promettant de quitter James Bonny si son fringant pirate succombait à son charme.
Mais elle avait beau s’abîmer les yeux sur la ligne d’horizon, La Revanche du capitaine Vane, dont il était le second, tardait à s’annoncer.
Cela faisait maintenant un mois que Mary et Baletti étaient à bord de La Revanche. Un mois qu’ils voyaient grandir la colère de John Rackham.
Incontestablement, il y avait de l’hostilité entre Charles Vane et son second. Incontestablement, l’équipage se rangeait à l’avis de Rackham. Vane était frileux. Ancien corsaire, il avait des scrupules à risquer de perdre son navire dans des combats inégaux. A l’exception de quelques barcasses tout juste bonnes à les ravitailler, ils n’avaient fait que peu de prises intéressantes. Et encore, Vane mettait tant de conditions à leur capture qu’il en gâtait le plaisir.
Deux jours auparavant, ayant croisé un négrier, les hommes s’étaient excités de l’idée de sa capture. Les esclaves étaient facilement monnayables et apportaient grand plaisir aux matelots. Vane s’y était opposé. Trop bien gardé à son sens, il leur avait interdit d’en jouir.
Au soir venu, dans la batterie, les chuchotements avaient pris un goût d’amertume et de frustration, et un ton qui, depuis, ne cessait de monter. Mary avait compris que sa présence à bord n’avait pas arrangé les relations entre le capitaine et son second. Bien qu’elle se soit démarquée des autres matelots, imposant un certain respect, elle sentait bien que ces gars-là n’éprouvaient pas les mêmes sentiments pour elle que leurs frères de la côte. Elle était femme quand ils en étaient privés. De plus, Vane s’attardait en sa compagnie, sous le prétexte de s’intéresser aux habitudes des pirates de la Tortue. Il avait une belle influence à New Providence, et on lui demandait souvent conseil. Mary n’était pas dupe. Elle était consciente que Vane la trouvait à son goût. La preuve en était qu’il tardait à rallier New Providence.
Rackham l’avait bien compris, qui lui manifestait une réelle animosité.
Il craignait qu’elle ne l’évince de son commandement, même si elle continuait d’affirmer haut et clair qu’elle débarquerait dès que possible. Rackham était persuadé qu’elle rêvait d’un navire et de celui-ci en particulier. Elle pouvait difficilement s’en défendre, le brigantin de Vane possédait de réels attraits.
— J’ai peur d’une mutinerie, lui avait glissé Baletti la veille au soir, discrètement.
Mary avait hoché la tête. Ils évitaient de discuter pour ne rien dévoiler de leurs projets. Ils se sentaient épiés en permanence. A l’exception d’une quinzaine d’hommes, dévoués corps et âme à Charles Vane, les autres étaient acquis à Rackham. Ils étaient arrivés sur La Revanche au mauvais moment.
— Sloop marchant sur tribord avant ! hurla la vigie.
— Je le veux, déclara Rackham à Vane qui examinait leur proie à la longue-vue.
Vane grimaça et Rackham serra les poings de colère, sachant ce que cela signifiait. Il fit un léger signe de tête à Fertherston, le quartier-maître, qui le lui rendit aussitôt.
— Les sloops sont teigneux, Rackham, comme toi, soupira Vane.
— Tu ne crois pas si bien dire, capitaine, glissa-t-il en lui plaquant son pistolet entre les reins.
— Qu’est-ce à dire ? blanchit Vane.
— Que tu es relevé de tes fonctions, capitaine.
Fertherston poussa un sifflement bref, strident.
En quelques secondes, l’équipage immobilisa ceux qu’il savait acquis à la cause de Vane. Comme eux, Mary et Baletti se retrouvèrent poussés sans ménagement vers la cale. Il leur aurait été vain de se défendre.
— Avance, ordonna
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