La parade des ombres
hurla :
— Leurs cales sont vides, capitaine, à l’exception du ravitaillement !
Un murmure d’indignation passa dans les rangs.
— Eh bien, cela confirme ce que je pensais. Le Jolly Roger à votre pavillon n’était pas un leurre, n’est-ce pas ? demanda Vane avec un sourire mauvais.
— Non, avoua Mary. Mais ce n’est pas ce que vous croyez, capitaine. Votre navire ne m’a intéressée qu’à partir du moment où vous avez voulu nous couler.
— Ben voyons ! ricana le second. Les pirates se baladent en flûte pour leur plaisir.
— Crois ce que tu veux, lâcha-t-elle, mais Mary Read ne ment jamais.
Charles Vane fronça les sourcils.
— Mary Read, dis-tu ? J’ai entendu parler de toi, mais j’avais du mal à croire à l’existence d’une femme pirate.
Mary releva le menton avec fierté.
— T’es une femme ? s’étrangla Rackham.
— Je te déconseille d’essayer de le vérifier, répliqua-t-elle, l’œil noir.
Il y eut quelques ricanements parmi les hommes, que Rackham fit taire d’un regard terrible.
— Que comptez-vous faire de nous, capitaine ? demanda Baletti, resté muet jusque-là.
— Qui es-tu ?
— On m’appelle le marquis. Je suis le second de Mary Read.
— J’ai laissé le Bay Daniel à mon fils, expliqua Mary. Le marquis et moi avions une affaire à régler en Caroline-du-Sud.
— Dis plutôt que tu voulais gagner un navire, éructa Rackham, et que tu pensais ruser pour le prendre.
Mary comprit qu’elle ne parviendrait pas à les convaincre. Tous les faits étaient contre elle et elle n’avait aucune envie de raconter son histoire à ces gars-là !
— Finissons-en, fit-elle. Crève-nous, si tu ne veux pas nous enrôler !
— Cela me ferait mal de vous avoir à bord, grinça Rackham.
— Faudra pourtant que tu t’y fasses. Baissez vos armes, ordonna le capitaine Vane à ses pirates.
Indifférent au regard furieux de Rackham, il ramassa la lame de Mary et s’approcha pour la lui tendre.
— J’étais à Kingston quand le capitaine du Bay Daniel s’est évadé de la potence. C’était toi, n’est-ce pas ?
Elle hocha la tête.
— Tu as de l’honneur au bout de l’épée, Mary Read. Les raisons de ta présence sur le Maria m’importent peu. Quelles qu’elles soient, je crois ce que tu m’en dis.
— Merci, capitaine.
— Bienvenue sur La Revanche. Je suis Charles Vane, et mon second si impétueux s’appelle John Rackham.
— Nous ne resterons pas sur ton navire, affirma Mary.
— Nous vous déposerons à New Providence, décida Vane, si cela te convient.
Mary approuva.
— Jusque-là, vous êtes sous mes ordres et ceux de Rackham.
— C’est bien ainsi que nous l’entendions, assura Mary. Vane s’écarta d’elle, revint vers Rackham et lui glissa en aparté :
— Cesse de faire cette tête et coule-moi ce navire après avoir récupéré son chargement. Mary Read est une excellente recrue et j’ai bien l’intention de la garder.
31
A nn cogna du pied dans une pierre au bout de la jetée avant de contempler la grève d’un œil triste. Cela faisait sept mois maintenant qu’elle était l’épouse de James Bonny et six qu’ils se trouvaient à New Providence. Personne ici ne pouvait supposer qu’Ann Bonny était en réalité miss Cormac. Cela eût dû lui suffire, d’autant que James était, contre toute attente, extrêmement épris d’elle et ne cessait de lui répéter qu’il avait été chanceux et fort avisé de la garder.
Elle aurait pu en dire autant si elle n’avait croisé le regard de ce pirate, le mois précédent. Quelques secondes, et elle en avait été poignardée. Il avait repris la mer. Depuis, elle ne cessait d’espérer son retour.
James Bonny était un bon époux. Il lui avait tout appris, y compris à se réconcilier avec ce corps que l’avortement avait malmené. Il avait fait d’elle une femme, lui avait donné un nom et espérait un foyer. Un foyer. Pas la mer. Il l’avait quittée pour demeurer auprès d’elle. Ann aurait dû s’en sentir flattée.
James Bonny était devenu indicateur pour le gouverneur Woodes Rogers. Il touchait un bon salaire pour dénoncer les pirates qui relâchaient à New Providence.
Ils étaient nombreux sur l’île. Presque deux mille, organisés en clan. La plupart étaient d’anciens corsaires reconvertis pour survivre. Les denrées en provenance d’Angleterre, seules autorisées sur les côtes des Indes
Weitere Kostenlose Bücher