La parade des ombres
vouloir de vous écarter de ce goûter.
— Sa mère a été emportée par une dysenterie l’an dernier, déclara sobrement Nicolas Lawes.
Emma l’enveloppa d’un regard compassé.
— J’en suis navrée, je l’ignorais, mentit-elle.
Lawes retint la main d’Emma qui s’était approchée de sa joue. Il y déposa un baiser triste.
— Ne vous reprochez rien, ma chère. Votre visite me comble, même si je la sais intéressée, ajouta-t-il.
— Elle l’est en effet, avoua Emma.
— Voulez-vous prendre quelque chose ? Une tasse de chocolat, peut-être ?
— Non, laissez vos domestiques s’affairer au plaisir de votre fille. J’aimerais pouvoir en faire de même avec la mienne.
Lawes marqua un temps de surprise. Emma s’en empara.
— Ma filleule, pour être plus exacte, mais que je chéris de toute mon âme, n’ayant pas eu le bonheur d’une descendance. C’est d’elle que je suis venue vous parler.
— En quoi puis-je vous aider ?
— Connaissez-vous William Cormac ?
— Qui ne le connaît ?
— Il est le père de cette charmante enfant. Il y a plusieurs mois, le carrosse qui la ramenait du couvent pour la conduire à ses épousailles fut attaqué par des brigands. Le cocher, grièvement blessé, a affirmé que ceux-ci l’avaient enlevée. Vraisemblablement pour en obtenir rançon. Cormac s’est désespéré des jours durant, guettant un signe des ravisseurs, retournant la colonie tout entière pour les retrouver. J’en fis de même de mon côté, sans succès, hélas. La rançon n’a jamais été réclamée.
— Je vois, s’apitoya Lawes. Il est probable qu’elle ait été tuée.
— Ou vendue comme esclave, soupira Emma. Ann Cormac est très belle, gouverneur. Cormac a renoncé, abandonnant ses recherches. Je ne peux m’y résoudre, quant à moi. Voici son portrait, ajouta-t-elle en ouvrant un médaillon dans lequel un artiste habile avait peint les traits d’Ann. S’il existe une chance encore qu’elle soit en vie, vos indicateurs dans les Caraïbes pourront peut-être la localiser. Je suis prête à tout pour la rendre à son rang et à sa famille. A tout, Nicolas.
Son air désespéré n’était pas feint et le toucha.
— Je doute de parvenir à vous satisfaire, Emma. A moins d’un coup de chance… Mais je vais relayer cette information et la transmettre à tous les gouverneurs qui me sont amis.
— Je m’installe à La Havane dans cette attente. Vous y savez mon adresse.
— Je ne l’ai pas oubliée.
— Rendez-moi visite si vos pas vous mènent à Cuba. Que vous ayez ou non des nouvelles à me donner.
— Je n’y manquerai pas.
Il se rapprocha d’elle.
— Auriez-vous encore l’envie de mes baisers, Emma ? murmura-t-il.
— Plus encore que vous n’imaginez, susurra-t-elle en enroulant ses bras autour de sa nuque.
Outre le fait qu’il pouvait l’aider à rechercher Ann, Emma avait aussitôt senti l’intérêt de leurs retrouvailles. Lawes serait un époux parfait et fortuné si Gabriel la rejetait. À quarante-cinq ans, Emma de Mortefontaine avait encore de beaux atouts pour plier un homme à son caprice. Comme pour la conforter, le gouverneur de la Jamaïque s’empara de sa bouche avec avidité.
*
Mary et Baletti quittèrent le bord du Majesty à la nage. La nuit était dense, les flots sombres et calmes. A tribord du navire à l’ancre, on en percevait les lumières de Charleston, censées guider les marins. Au loin, celles des lanternes prenaient le relais, faibles, comme autant de lucioles suspendues dans l’obscurité.
L’eau était fraîche en ce mois de mai, pourtant Mary et le marquis n’en sentirent pas la morsure. Ils parvinrent au pied de la jetée, le souffle court.
Ces huit mois à bord leur avaient semblé interminables. Le capitaine du Majesty n’en finissait pas de visiter chaque crique, de s’attarder dans chaque port, de traquer les pirates, d’arraisonner des navires pour vérifier leurs passeports. Les rares abordages qu’il avait consentis, Mary les avait vus depuis les perroquets sans pouvoir y prendre part. Baletti l’avait étonnée par sa dextérité. Il avait appris très vite, écoutant ses conseils et ses leçons, pour ne pas se laisser distancer et déléguer à d’autres tâches qui les auraient éloignés l’un de l’autre. Mais ils avaient vécu cette traversée comme une corvée.
Ils n’étaient pas fâchés d’en être enfin libérés, malgré la froidure qui les
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