La parade des ombres
déguisée tout comme lui, dans les casinos les plus prisés, plusieurs nuits de suite. Chaque fois, le même scénario se reproduisait. Ils entraient discrètement et se dissimulaient derrière un paravent ajouré qui leur servait de masque. Il se plaçait derrière elle et lui interdisait de bouger, refusant qu’on découvre leur présence. Mary sentait son ventre s’embraser des étreintes qui s’orchestraient sous ses yeux, le cœur battant de le sentir si proche, aussi tendu de désir qu’elle.
« Souviens-toi, chuchotait-il. Souviens-toi pour mieux oublier. »
Il ne la touchait pas. Ils regagnaient le palais lorsque la folie amoureuse s’apaisait. Celle de Mary était à son paroxysme. Mais Baletti l’abandonnait devant sa porte, lui recommandant seulement de prier pour s’en faire absoudre. Et Mary, soumise à son jeu, s’endormait dans le désir d’aimer.
— Je n’apprécie pas M. Hennequin de Charmont, avoua Mary.
— Allons, se moqua Baletti. Il n’est pas pire que d’autres.
— Mais pourquoi accepter ses invitations quand d’autres, justement, vous plairaient davantage ? Vous en recevez des dizaines par jour, marquis.
— C’est juste, Maria, concéda-t-il en décrochant d’une patère une mante rehaussée d’hermine pour lui en couvrir les épaules.
Ils se rendaient chez l’ambassadeur. C’était la troisième invitation qu’ils honoraient cette semaine.
— Quel intérêt y prenez-vous, marquis ? demanda-t-elle.
— Si je vous dis que cela me donne l’occasion de le surveiller, cela vous rassure-t-il ?
— Vous le soupçonnez de quelque manigance ?
— Oui. Boldoni aussi.
— Est-ce à cause de cela que vous m’avez écartée de Giuseppe ?
— En partie, avoua Baletti en saisissant une canne au pommeau d’argent sur une tablette. Mais il y a une autre raison.
— Laquelle ? demanda Mary, le cœur battant la chamade.
Baletti s’approcha d’elle, lui prit le poignet avec une infinie douceur et en porta l’intérieur à ses lèvres, comme il aimait si souvent le faire. Une fois encore elle frissonna.
— Plus tard, promit-il. Le temps viendra. Ayez confiance en moi.
Elle hocha la tête, mais n’en pouvait plus d’attendre. Tout à la fois, pourtant, elle s’en régalait comme d’une gourmandise délicieusement et insupportablement inaccessible.
Une heure plus tard, ils se trouvaient dans le fumoir de l’ambassadeur de France, auprès des patriciens et de leurs épouses.
Les confidences de Baletti avaient ramené un sursaut d’intérêt à cette visite, de sorte qu’au lieu de se laisser aller sur un sofa, comme elle le faisait d’ordinaire, Mary prêta une oreille attentive à ce qui s’y disait. Comme souvent, on commençait par parler de politique avant de parler d’amour. Les manœuvres de Forbin dans l’Adriatique occupaient tous les débats.
Baletti semblait prendre un plaisir malin à y revenir, troublant l’ambassadeur. Des bouffées de chaleur traçaient sur la face lunaire de celui-ci des sillons salés, contredisant le ton mielleux qu’il adoptait pour les évoquer. Mary s’en régala et le provoqua à son tour, d’un air parfaitement ingénu.
— On raconte que M. de Forbin est impétueux et coléreux. Il est heureux que Venise ne puisse l’agacer. Vous devez vous en réjouir, monsieur l’ambassadeur, cela simplifie votre tâche.
— Certes, certes. M. de Forbin est assurément un homme avisé.
— Avisé mais bigleux, gronda un patricien. Allons, mon cher ambassadeur, reconnaissez que votre compatriote échauffe les esprits du Grand Conseil par ses ridicules accusations.
— Quelles accusations ? demanda Mary, refusant de s’attarder au regard appuyé que lui lança Baletti.
— M. de Forbin voit des fantômes, reprit celui-ci. M. de Forbin s’imagine que Venise pactise avec l’Empereur.
Il cogna du poing sur la table et prit Baletti à témoin.
— C’est intolérable ! N’en êtes-vous pas indigné, marquis ?
— Je le suis en effet, consentit Baletti.
Mary sentit son cœur se serrer à l’idée que Forbin ait pu dire vrai.
— Je le suis et, cependant, reprit Baletti comme s’il avait entendu ses craintes, M. de Forbin n’a pas la réputation d’être un menteur. S’il assure que les bâtiments impériaux sont ravitaillés, c’est qu’ils le sont.
— Vous oseriez prétendre que Venise… s’empourpra le patricien en se levant d’un bond, comme si l’insulte
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