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La parade des ombres

La parade des ombres

Titel: La parade des ombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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tard.
    — Comment vous reconnaître, marquis ? s’affola-t-elle.
    — Moi, je vous reconnaîtrai. N’est-ce pas suffisant ?
    Elle hocha la tête. Il se pencha et effleura son cou de ses lèvres, remontant jusqu’à son oreille.
    — Ne tardez pas, supplia-t-elle. Je ne le supporterai pas. Pas cette fois.
    — Chut ! l’apaisa-t-il.
    Il s’écarta d’elle et s’en alla.
     
    A l’heure dite, vaincue, Mary descendit l’escalier, la rose de soie blanche piquée à son corsage, la moretta devant son visage tourmenté.
    Lorsque le gondolier la déposa devant les marches du palais Foscari, la fête battait son plein dans une explosion de musique et de couleurs. Elle n’avait pas besoin de les reconnaître pour savoir que tous les patriciens s’y pressaient, ivres de vin et de filles. On y allait et venait dans de grands éclats de rire, entraîné par les farandoles, les tarentelles, les plaisanteries grasses et les mains volages. Les dames ne pouvaient se défendre par la voix au risque de dévoiler leur identité. Et l’on ne distinguait plus la prude de la catin, l’épouse de la maîtresse, la candide de l’effrontée. Mary se faufila partout, tapant de l’éventail sur les doigts qui agaçaient ses jupons, cherchant désespérément, sous les masques, à le rejoindre, lui et lui seul.
    Il n’était pas une alcôve qui n’abritât la luxure, pas un sofa qui n’hébergeât un corps alangui, pas un verre qui ne débordât d’un vin épais. L’on dansait, aimait, se soûlait sans retenue. Le carnaval sonnait son glas et cette veillée funèbre lui arrachait des larmes sous le velours noir de son masque.
    Désespérée de sa folie et de ses bassesses, elle se dirigea vers une large fenêtre au rebord de laquelle des candélabres brûlaient. Un arlequin capta son regard. Mary se mit à trembler, certaine que Baletti se cachait sous son masque. Il disparut à sa vue, happé par le tourbillon des danseurs. Elle le chercha des yeux avidement, n’osant bouger pour qu’il puisse la rejoindre, et le retrouva enfin plus loin, occupé à embrasser une gorge dénudée. Puis ailleurs encore, se laissant chevaucher tout en lutinant deux tailles à ses côtés.
    Les habits d’arlequin étaient si nombreux qu’elle n’en put supporter davantage. Baletti ne viendrait pas. Il s’était joué d’elle. Aucun être normal ne pouvait imposer pareille torture. Elle n’avait plus confiance. Forbin avait forcément raison, quoi qu’elle ait vu ou entendu. C’était terminé. Les élans belliqueux de la vengeance l’envahirent, salvateurs. Ils apaisèrent sa douleur. Elle les connaissait bien. Ils avaient depuis toujours été ses complices. Elle ne les craignait pas. Pas autant que cette soumission qu’elle exécra soudain. Un escalier grimpait vers l’étage. Elle releva ses jupes et s’y précipita, haletante. Elle était décidée à quitter Venise, à rejoindre Forbin et à s’en aller traquer Emma à Douvres, comme elle aurait dû le faire depuis longtemps déjà.
    Avisant un boudoir délaissé, à peine éclairé d’une chandelle, elle s’y glissa, et se plaça face à la fenêtre aux volets barrés pour se calmer. Une main emprisonna son poignet et le tordit sur ses reins. Un gémissement lui échappa et la moretta tomba sur le tapis.
    — Agenouille-toi sur le fauteuil, exigea le marquis dans un souffle.
    Elle ne l’avait pas entendu entrer.
    — Je vous hais, gémit-elle, en obéissant pourtant.
    — Moi, je t’aime, Mary. Je t’aime comme je n’ai jamais aimé.
    Il souleva ses jupes et les renversa sur ses épaules avant de la prendre avec une lenteur exaspérante qui lui arracha un sanglot avant de la faire hurler. Encore et encore. Le diable avait gagné.
    Elle lui appartenait.

13
     
     
    C lément Cork s’avança dans le cabinet de M. Hennequin de Charmont, où on l’avait introduit, avec le même déplaisir que d’ordinaire. L’ambassadeur faisait face à la croisée qui donnait sur le jardin.
    — Vous vouliez me voir, dit Cork, faussement servile.
    L’ambassadeur délaissa la vue de ses esclaves qui jouaient dans le jardin et se retourna vers lui. Il apparut à Clément à la fois abattu et excédé, un chiot dans les bras qu’il caressait sans tendresse.
    — Nous avons un problème, lâcha-t-il. Un gros problème qu’il va nous falloir résoudre.
    — Je suis là pour cela, monsieur, assura Cork.
    — Forbin s’est plaint au roi de France et au doge. Une

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