La parade des ombres
afin de déjouer la traque des Impériaux, je n’ai pas pu écrire à Forbin, ni même le rallier à Trieste, s’excusa Corneille pour terminer le récit de ces trois dernières semaines.
Mai était doux au cœur de Mary. Un vent glacé venait cependant de s’y engouffrer.
— Je ne peux laisser Forbin sans nouvelles de Junior, trancha-t-elle après s’être emmurée dans un long silence qu’ils n’osèrent pas briser. Nous voici revenus au point de départ, Corneille. Comme autrefois lorsque nous avons pris la décision d’embarquer pour chercher ce trésor.
— Tu n’en as plus besoin, désormais, assura Corneille.
— Tu te trompes. Puisse, marquis ? demanda-t-elle en posant sa main sur celle de Baletti.
Il hocha la tête, et à son tour Mary leur répéta les aveux de son amant sur le crâne de cristal. Corneille manifesta d’emblée son incrédulité.
— Sans vous offenser, marquis, lâcha-t-il, je doute que mon sabre se contente de vous chatouiller s’il vous transperçait.
— C’est exact, reconnut Baletti. Je peux être tué par accident. Du moins je le suppose. J’ai été blessé à plusieurs reprises. Exposées au rayonnement du crâne, mes blessures se sont toujours refermées sans me laisser de cicatrices ou de séquelles. La maladie ne m’atteint pas, pas plus que la vieillesse, du moment qu’il est près de moi pour m’en protéger. Croyez ce que vous voudrez, Corneille. Ma quête demeure ce qu’elle est. Quant au trésor, il vous appartiendra à égalité avec Cork, si vous êtes toujours associés, car je présume que vous ne souhaitez pas rejoindre Forbin.
— Même si je le voulais, il ne me le pardonnerait pas. Il demeurerait persuadé que je l’ai trahi, tout comme Clément.
Mary hocha la tête.
— Nous pourrions quitter Venise sur un de vos navires, marquis. Rallier Douvres où Emma se trouve certainement, récupérer l’œil de jade qui nous manque et laisser cette guerre s’achever sans nous, suggéra-t-elle.
— Ce serait une solution en effet, mais je ne peux m’en satisfaire, Mary, lâcha Baletti, ennuyé. Je dois faire cesser ce trafic. Je suis trop attaché à Venise pour ne pas me sentir concerné par cette affaire. De plus, tôt ou tard, on apprendrait que j’ai protégé Cork. Et je risquerais d’y être mêlé sans seulement pouvoir m’en défendre. Nous ne pourrions vivre sereinement à notre retour.
— Que suggérez-vous ? demanda Cork.
— D’apaiser Forbin. Qu’il vous pense mort est la meilleure solution pour garantir votre liberté, dit-il à Corneille. Ecris-lui, Mary. Et donne-lui une version tronquée de la vérité : Cork a été lui-même pris au piège, il est arrivé trop tard pour empêcher les hommes de Clairon d’être emmenés. Corneille, grièvement touché, s’est réfugié avec Junior chez une femme qui les a protégés. Cork a emmené Junior pour satisfaire le dernier souhait de Corneille. Vous deux, décida-t-il, vous vous cacherez ici, à Venise. Dans une des demeures dont tu as les clés, Clément.
— Je ne peux abandonner Junior sur Pantelleria, objecta Corneille. Reste à Venise, Cork. Moi, je l’y rejoindrai.
— Patience, Corneille. Patience, insista Baletti. Accordez-vous le temps de réaction de Forbin au courrier de Mary. Nous ignorons ce qu’il décidera. Jusque-là, il ne faut prendre aucun risque.
— Il a raison. Es-tu sûr de cette femme à qui tu as laissé mon fils ? demanda Mary à Cork.
— Autant que de moi-même. Je lui ai promis de l’épouser. La belle y compte et n’osera pas me déplaire. Elle a un fils à peine plus jeune que Junior, ils se sont entendus aussitôt. Tu n’as pas à t’inquiéter.
Mary hocha la tête. Peu à peu la conversation dévia, mais à aucun moment Emma de Mortefontaine n’en fut le sujet, comme si chacun d’eux voulait oublier le danger qu’elle représentait.
*
Forbin entra en fureur en parcourant la lettre de Mary. En fureur et en tristesse. Comme s’il n’avait pas eu assez de contrariétés pour la journée !
Son escadre était obligée de cesser son blocus du port de Trieste, sans avoir récupéré les prisonniers.
Baletti fait confiance à Cork et moi aussi, écrivait Mary. Je pleure la mort de Corneille mais suis sereine de savoir mon fils en sûreté.
— Ben voyons, grinça-t-il. Baletti dit et Mary consent ! Et le couillon de la farce serait Claude de Forbin ? Bonne mère, cette fois, c’en est trop. Si
Weitere Kostenlose Bücher