La parade des ombres
Je ne suis pas la main, mais Forbin avait raison. Votre malheur est mien et je dois en être jugé.
— Laissez-moi en décider, marquis. J’attends votre confession en retour de la mienne.
Baletti la lui accorda sans se faire prier.
Il était le fils d’une princesse russe et d’un dignitaire italien. L’enfant du péché. Elle était promise à un autre, destinée à régner. La famille royale, plutôt que de souffrir le déshonneur, avait préféré sacrifier la mère, l’enfant, et cet encombrant géniteur. La princesse avait senti sa condamnation prochaine, échangé le nourrisson pour un autre qu’on lui avait apporté et confié à sa chambrière le soin de mettre son fils en sûreté. Les deux amants avaient été assassinés et Mathieu, né Stanislas, avait été élevé à Paris, chez cette femme scrupuleuse et sincère qui lui avait tout raconté avant de s’éteindre à son tour. Stanislas s’était alors tourné vers l’homme que sa mère adoptive citait toujours en exemple pour sa droiture et son sens aigu de la justice. Maître Dumas était procureur, Stanislas avait voulu le devenir pour apprendre l’équité. L’alchimie et la découverte du crâne avaient tout bouleversé.
— Je lui dois ce que je suis, conclut Baletti en se levant pour enlever le crâne de son support et le tendre à Mary. Jamais personne à part moi ne l’a touché. Prends, dit-il. Il t’appartient désormais.
— Que pourrais-je en faire ? s’étonna Mary, laissant pourtant Baletti le poser sur ses genoux.
— Retrouver ce trésor à la place d’Emma.
— Je ne comprends pas. Quel rapport existe-t-il entre ce crâne et le trésor ?
Baletti récupéra l’œil de jade et l’inséra sans difficulté dans une des orbites.
Mary écarquilla les yeux et Baletti poursuivit son histoire, lui racontant ce qu’Emma lui avait révélé du fabuleux trésor de Moctezuma et l’accord qu’il avait conclu avec elle. Il ne lui cacha rien. Lorsqu’il se tut enfin, elle demeura un long moment silencieuse, perdue dans ses pensées, incapable de détourner les yeux de ce crâne. C’était à cause de lui que tout avait basculé. Sa vie, ses espoirs, son âme. Elle ne pouvait pas en vouloir au marquis. Il n’était pas responsable de la cruauté d’Emma même s’il s’en sentait coupable. Elle détenait désormais toutes les réponses, sauf une.
— Pourquoi avoir accepté de vous associer à Emma ? Vous possédez tout. Et même ce tout me semble un euphémisme. Vous n’avez aucun goût pour le pouvoir et vous êtes l’être le plus dénué de malice que j’aie rencontré, alors qu’avez-vous à faire de ce trésor ?
— Vous souvenez-vous de cette cité de cristal qui vous est apparue en rêve, Mary ?
Elle hocha la tête.
— Elle fait partie de sa mémoire.
— La mémoire de qui ?
Baletti caressa le cristal d’une main tendre.
— Sa mémoire.
— Je ne comprends toujours pas, pardonnez-moi. Vous parlez d’un objet, marquis, il n’a rien d’humain, à part son volume et son apparence.
— Rien d’humain, en effet, soupira Baletti. Voilà résumées ces questions qui m’obsèdent depuis qu’il est en ma possession. Qui l’a façonné ? Pourquoi ? Comment ? Je l’ai fait examiner par les plus brillants joailliers de ce temps. Ils sont restés perplexes et incrédules. Il est constitué d’un quartz naturel extrêmement pur et les deux parties de sa mâchoire proviennent du même bloc. Il a été fait contre tout bon sens. La structure du cristal est exceptionnelle. On le dirait doté d’une multitude de prismes permettant à la lumière de se réfléchir et de se réfracter en le traversant. Les effets en sont inhabituels et étonnants. Impossibles à reproduire avec les techniques que nous connaissons. De plus, il émet lui-même des lueurs et des chants lorsqu’on l’expose la nuit au ciel étoilé. Pas systématiquement, seulement lorsque certaines planètes sont alignées.
Baletti s’agenouilla devant elle et lui prit les mains avec ferveur.
— Mary, ce crâne ne devrait même pas exister en tant qu’objet ! Et cependant, là n’est pas encore le plus merveilleux de son mystère. Je sais que cela te paraîtra inconcevable, au point que tu me croiras fou, mais il est vivant. Pas comme nous l’entendons, bien sûr, mais il détient une connaissance prodigieuse qu’il m’offre en rêve. Mes élixirs, le secret du grand œuvre sont nés de lui. Je me moque de
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