La parade des ombres
Mais une chose était certaine. Elle n’y retrouvait pas celui d’Emma. Elle s’alanguit dans cette chaleur souveraine. Elle se sentait bien, bercée doucement. Et soudain l’image lui revint. Corneille. Corneille était venu la chercher dans son cachot. Elle se dressa en souriant.
— La Perle, murmura-t-elle.
— Tu es en sécurité, Mary, chuchota une voix à ses côtés.
Elle la reconnut aussitôt.
— Forbin, dit-elle seulement, le laissant l’attirer contre lui.
C’est alors qu’elle réalisa que ce moelleux sous son flanc était un matelas et qu’elle se trouvait nue dans les bras de son capitaine. Son souffle s’accéléra et elle demeura les yeux ouverts, contre ce corps musculeux et tendu.
— Ne t’inquiète pas, dit-il, percevant sa réserve. Je n’ai pas l’intention de te forcer à quoi que ce soit.
— Je n’ai pas peur de ça. C’est juste la surprise de te retrouver là, comme ça, après ce qui vient de se passer.
— Le chirurgien de bord a jugé préférable que tu sois veillée jusqu’à ce que tu reprennes conscience. Je ne pouvais décemment pas t’abandonner dans son théâtre sous le regard concupiscent de mes matelots. Cela n’aurait pas plu à Junior.
— Junior, murmura-t-elle, envahie par une vague de bien-être. Junior est ici…
— Il dort dans la batterie avec les hommes d’équipage. Les choses sont à leur place, Mary. Tout va bien à présent. Tu le verras demain matin, il est aussi impatient que toi.
— Où sommes-nous ?
— Au large. Cela fait une semaine que tu délires. Sept jours que nous nous inquiétons pour toi. Souffres-tu ?
— Un peu. Partout. J’étais dans un piteux état, n’est-ce pas ? demanda-t-elle, se souvenant soudain de la remarque de Corneille dans sa geôle.
Forbin ne répondit pas, mais resserra plus fort la tenaille de ses bras. Ils demeurèrent un long moment en silence, bercés par le tangage du navire. La mer était calme et Mary se sentit apaisée. Elle noua ses doigts à ceux de son capitaine contre son ventre, retrouvant instinctivement la complicité de leurs étreintes d’autrefois.
— Il faut oublier, Mary, chuchota-t-il en déposant un baiser léger sur sa nuque.
— Je n’en ai pas envie. Emma doit payer pour ça aussi. Baletti est mort, elle a récupéré le crâne de cristal et, si elle dit vrai, elle détient aussi Ann en Caroline-du-Sud.
— Tu es sûre de cela ?
— Je ne pourrai le vérifier qu’en me rendant là-bas. Cork m’y emmènera.
Il y eut un silence, puis un soupir.
— Cork est mort.
Mary se retourna d’un bloc sous l’effet de la surprise.
— Trépané par un éclat de métal tandis qu’il te ramenait à bord. Je suis désolé.
Elle ne répondit rien. Baletti, Cork. Une tristesse infinie la gagna. Forbin la pressa contre son torse. Elle y nicha son visage sans hésiter, s’enivrant de ces senteurs océanes qui couraient sur sa peau et dans sa toison grise.
— Il ne reste plus que toi et moi, dit-il en embrassant ses cheveux. Juste toi et moi.
Mary se mordit les lèvres pour ne pas parler de Corneille. Forbin ne devait pas savoir. Leur rivalité resurgirait, aggravée par la trahison. Forbin admettrait peut-être qu’elle le quitte pour retrouver sa fille, pas pour rejoindre Corneille. Elle se rappelait avoir entendu Cork donner rendez-vous à celui-ci à Pantelleria. Elle soupira.
— Nous reparlerons de tout cela, chuchota-t-il. Repose-toi. Dès que tu seras debout, Junior ne te quittera plus.
Il s’écarta d’elle.
— Où vas-tu ?
— Prendre l’air. Tu n’as plus besoin d’être veillée, Mary, et je ne suis pas de bois.
Elle aurait voulu débarrasser sa peau du souvenir des geôliers et de celui d’Emma, mais il valait mieux pour Claude de Forbin qu’elle ne cède pas à cette tentation-là. Elle le laissa s’habiller et sortir. Dès le lendemain, elle envisagerait ses projets avec son fils. Pour l’heure, elle avait faim. Elle s’assit, posa le pied par terre et grimaça.
Elle était meurtrie. Un vertige la saisit et elle se rattrapa de justesse. Elle le contrôla, puis fouilla ses souvenirs pour se repérer dans l’espace. Il lui fallut un long moment avant d’y parvenir, tant sa faiblesse était grande. Lorsque, enfin, elle put se lever dans l’obscurité et atteindre la coupe de fruits qu’elle cherchait, elle en dévora le contenu avec avidité, bénissant Claude de Forbin de n’avoir rien modifié de ses habitudes.
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