La parade des ombres
de ses navires, Junior. Que Corneille y soit ou non.
— Même si tu te maries avec le capitaine ?
— Surtout si je me marie avec lui. C’est cela que tu veux ? Que j’épouse Forbin ?
Junior haussa les épaules.
— Tout ce que je veux, c’est être gabier avec toi.
— Cork a légué le Bay Daniel à Corneille.
Les yeux de Junior s’illuminèrent.
— C’est vrai ? Le capitaine dit que c’est la plus belle frégate qu’il ait jamais croisée après La Perle. Il a raison.
Mary planta son regard dans celui de son fils.
— Si tu étais à ma place, Junior, que ferais-tu ?
— Je choisirais Corneille, assura l’enfant.
— Pourquoi ?
— J’aime bien M. de Forbin, mais Corneille me manque, avoua Junior. Il me manque comme papa.
— D’accord, on choisit Corneille. Laisse-moi arranger tout cela. Jusque-là, ça doit rester notre secret. Juré ?
— Juré, dit-il en crachant par-dessus son bras.
Lorsque Forbin les rejoignit, plus d’une heure plus tard, il trouva la mère et l’enfant riant aux éclats. Junior s’était empressé de raconter à celle-ci ses facéties sur La Galatée et tout ce que les lettres de Forbin n’avaient pas dit. Il s’attendrit de ce spectacle, de les voir enlacés et heureux. Son cœur se serra. Il savait que tôt ou tard il ne lui en resterait plus qu’un souvenir. Mary Read était Mary Read, elle le lui avait écrit. Ses rivaux n’existaient plus, mais ce qui les séparait était toujours là.
— Je vois que l’on s’amuse dans ma carrée, matelot. Est-ce bien réglementaire ? gronda-t-il faussement.
— Et une dame dans ton lit, est-ce bien réglementaire, capitaine ? se moqua Mary.
Junior s’empressa de répéter comme un jeune perroquet, en forcissant sa voix :
— Et ma mère dans votre lit, est-ce bien réglementaire ?
— Je me rends, se mit à rire Forbin. Mais cette mutinerie aura des conséquences terribles. Voyons, voyons, ce que nous pourrions trouver comme punition, dit-il en se grattant le menton et en s’asseyant sur le lit.
Junior ne lui laissa pas le temps d’en dire davantage. Il se rua sur lui comme un matelot à l’abordage. Forbin l’accueillit et partit en arrière, écrasant les mollets de Mary, qui râla.
— Brutes. En voilà des manières !
Forbin ne se laissa pas vaincre longtemps. Une crise de chatouilles fit rire aux éclats l’enfant qui revint chercher asile contre les oreillers et la poitrine de sa mère.
— De quoi te plains-tu ? demanda Forbin à Mary. Deux hommes se battent pour toi.
— C’est moi qui gagne ! assura Junior sans malice.
Un voile de tristesse embruma un instant le regard de Forbin. Il se pencha pour déposer un baiser sur la joue de Mary et froisser la tignasse désordonnée de Junior.
— Ça, lui répondit-il, je le savais déjà. Te sens-tu le courage de venir à table ou veux-tu que je te fasse porter un plateau ? demanda-t-il à Mary.
— Je veux bien me lever, répliqua-t-elle, ravie qu’il ne s’appesantisse pas sur la maladresse de Junior, mais je n’ai rien à me mettre de seyant, cher monsieur.
— Je me contenterai volontiers des habits que tu as, murmura-t-il à son oreille, mais je vais tout de même arranger cela. Homme ou femme ?
— A ton avis ?
Il sourit et les abandonna.
Une heure plus tard, Mary comprit que Forbin avait fait son choix. Il différait du sien. Elle se présenta à la table des officiers, sa taille joliment prise dans un jupon et sa gorge mise en valeur par un décolleté rehaussé de perles.
— Butin de guerre, avait-il expliqué. Je n’ai rien trouvé d’autre à ta taille.
Mary savait qu’il mentait. Il avait tenu à présenter Mary Read à son état-major telle qu’elle était, lui interdisant par ce simple geste tout avenir sur la frégate comme matelot. Sans doute était-ce mieux ainsi. Junior, stylé dans ce rôle d’échanson qu’il persistait à tenir au souper, ne la lâcha pas des yeux de la soirée après lui avoir assuré qu’elle était la plus belle des mamans.
Elle se laissa griser par sa tendresse, ravie que ce fût aussi simple, aussi évident. Mary n’avait pas envie de penser à ce qui l’attendait le lendemain, préférant se gorger de l’instant, pour se laver des images de Venise. De toutes les images. Merveilleuses ou dramatiques. Etonnée que son esprit les chassât avec autant de véhémence. A croire que les événements de Breda lui avaient forgé,
Weitere Kostenlose Bücher