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La parade des ombres

La parade des ombres

Titel: La parade des ombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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elle ne voyait rien d’autre que ces images. Mary enchaînée et soumise à son caprice. Mary qui ne la suppliait pas, qui acceptait sa dépendance. Emma se tordait de ce qu’elle ne lui infligeait plus. La brutalité de Gabriel l’apaisait quelques heures, lorsqu’il daignait se servir d’elle. Pour rien au monde elle ne se serait abaissée à réclamer quoi que ce soit. Elle oscillait en permanence entre apathie et fureur. Surtout depuis qu’elle avait compris que c’était terminé, que Mary ne lui reviendrait pas. Quoi qu’elle fasse. Quoi qu’elle lui impose. Quoi qu’elle lui promette.
    — Elle a été débarquée à Malte, a rallié le Bay Daniel qui l’attendait à Pantelleria, avait déclaré Gabriel, certain de ses informateurs.
    Depuis trois mois, il faisait sillonner la Méditerranée et l’Adriatique, en vain, indifférent aux manœuvres de Forbin. Le Bay Daniel ne s’y trouvait plus. Emma n’avait pas revu l’ambassadeur, elle se moquait de tout. De tous.
    — Tu as le crâne de cristal, contente-toi de cela ! s’était gaussé Gabriel avant de la plier une nouvelle fois.
    Elle s’était seulement contentée de lui. A peine. Sauvagement.
     
    Emma accepta la main qu’il lui tendit pour enjamber le rebord de la barque et s’y installer. L’air avait fraîchi. Le carnaval recommençait à Venise, offrant l’oubli à ses habitants abîmés par l’incendie, et par la vindicte de Forbin.
    De nouveau les moretta effaceraient les visages et les noms. Emma ne portait plus qu’un seul masque. Celui de sa colère et de sa douleur.
    Pour la première fois, elle en était enlaidie.
    — Quelle est notre destination, madame ? demanda le capitaine en la saluant sitôt qu’elle fut à bord du navire.
    — Charleston, dit-elle. Charleston, en Caroline-du-Sud.
    — C’est une longue traversée.
    Elle hocha la tête.
    — Nous nous ravitaillerons en chemin. Hâtez-vous, capitaine, ajouta-t-elle en pressant ses tempes migraineuses. Hâtez-vous, ma fille m’y attend.
    Elle se retira dans sa cabine, seule, désespérément seule, insensible au froncement de sourcils de Gabriel. Elle se moquait bien de ce qu’il pouvait penser. Mary pouvait avoir décidé d’aller n’importe où, puisque, une fois encore, elle n’avait pas jugé bon de se venger de ce qu’elle avait subi. N’importe où, oui. Alors pourquoi pas là-bas, où Emma avait prétendu détenir Ann. Elle tentait d’anticiper ses actes, sans espoir pourtant. Parce qu’elle ne pouvait pas faire autrement. Elle était prisonnière de ce qu’elle avait créé. Cette fois, hélas, elle n’y croyait plus. Mary, égoïstement, n’avait pas voulu accepter la vérité. Sa fille ne l’intéressait plus.
    « Je ne l’y attendrai pas, se jura Emma. Je ne l’y attendrai plus. »
    Elle ferait ce qu’elle avait promis à Mary avant de jouir d’elle. Elle ferait d’Ann Mary son double. Sa vie.
    Elle s’étendit sur la couche, s’y recroquevilla et, ravagée une fois encore par ces démons que l’indifférence de Mary lui laissait au ventre, se mit à sangloter en enserrant l’oreiller entre ses bras.

22
     
     
    L e printemps amenait une belle tiédeur sur l’île de la Tortue. L’automne précédent, un cyclone l’avait dévastée, de même qu’Hispaniola toute proche, et les stigmates de son passage tardaient à s’effacer. De nombreux palmiers gisaient, déchiquetés ou tombés sur la plage. Les bernard-l’ermite en avaient fait leur repaire, cherchant l’ombre des franges sèches.
    On achevait de reconstruire le fort qui protégeait la ville ancrée dans la grève. Lui aussi avait été malmené. La communauté des pirates qui y avait établi ses quartiers s’était entraidée, recréant en quelques mois une cité entière de baraquements, d’entrepôts, de réserves, de tavernes et d’auberges. Tous de bois ou de feuilles de palmier tressées. Seule l’église était en pierre. Ici, on était habitué à la fureur des éléments. Ici, on ne vivait, ne vibrait que de violence. Le rire des hommes sonnait gras et fort, le rhum soignait l’haleine et les dents gâtées, tout comme les fièvres ou la dysenterie. Ici, on se repaissait de vivre pour s’accorder une mort joyeuse.
    Le ventre de Mary Read était douloureusement tendu. L’enfant qu’elle attendait depuis trois mois ne lui donnait pas le sentiment d’une grande vitalité. Et cependant Corneille en était déjà fou. Elle détourna son regard du

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