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La parade des ombres

La parade des ombres

Titel: La parade des ombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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chantier sur lequel hommes et garçonnets s’agitaient, enfonçant des troncs entiers l’un contre l’autre dans le sable à l’aide de masses, avant de les relier par des cordes. La palissade qui ceinturait la ville progressait à vue d’œil.
    On salua son passage. Elle était connue de tous ici. Connue et respectée pour ce qu’elle était et ne se cachait pas d’être. Une femme pirate. Non l’épouse d’un pirate. Une pirate à part entière.
    A l’ancre, juste en face du chemin qu’elle suivait, à côté d’autres, le Bay Daniel mouillait, tanguant doucement sur une mer calme. Ils étaient au port depuis le début de la semaine, pour ravitailler avant de repartir en mer. Elle ne vivait plus que pour ces courses. La terre avait le don de l’aspirer et de la déprimer. Tout comme Junior, d’ailleurs. Elle allongea son pas, refusant la douleur à son périnée. Il y avait longtemps qu’elle ne prêtait plus attention à ces broutilles. Il en fallait bien davantage pour l’empêcher de mener à bien ce qu’elle décidait.
    Elle se mit à siffler. Le chemin sablonneux s’enfonçait dans la végétation luxuriante, domptée par l’homme qui y avait construit de-ci, de-là, sans aucune règle ou contrainte. On arrivait, on se posait. Les lois venaient après. Le code d’honneur des pirates, s’il n’excluait ni les bagarres, parfois jusqu’à mort d’homme, ni les tripots pouvant ruiner un capitaine en lui faisant perdre navire et équipage, maintenait chacun dans une règle de vie qui valait largement celle des cours d’Europe.
    Mary tourna l’angle du chemin croulant sous des bougainvilliers. Elle s’immobilisa un instant pour éponger son front suant d’une main lasse. Il était brûlant.
    — Chierie de soleil de mai ! jura-t-elle.
    Malgré le foulard qui retenait ses cheveux attachés et protégeait sa nuque, elle fut certaine d’avoir une insolation. Ce ne serait pas la première fois sous ces latitudes.
    Non, la première, elle s’en souvenait, l’avait tenue au lit deux jours à délirer, quelques semaines seulement après leur arrivée dans les Caraïbes. Elle repensa une fois encore à l’enthousiasme de Junior, à sa fierté à défiler dans les ruelles de la ville pirate, ne perdant rien de ce qui l’entourait, se gorgeant les yeux d’images et les oreilles de bruits. S’étonnant de tout et de tous. De ces mulâtresses libérées de l’esclavage pour épouser des marins. Des garces qui faisaient pigeonner leurs gorges à pleines mains en tenant des propos salaces au milieu de la rue. Des marins à la jambe de bois ou au moignon prolongé par un crochet. Des borgnes au bandeau noir, ou d’autres encore au visage marbré de cicatrices. Des gueules, effrayantes souvent. Mal rasées, chevelues, le regard froid comme une lame, semblables à des bêtes traquées. Ou, à l’inverse, de ceux qui soignaient leur apparence jusqu’au bout des ongles, précieux et enrubannés, mais dont il fallait se méfier. La cruauté la plus extrême s’habillait parfois de dorures. Junior l’avait appris au fil des années. La vingtaine superbe, il était à présent le portrait vivant de son père, jusqu’à sa voix et son rire. Mary ne passait pas un jour sans s’en étonner et s’en attendrir. C’était toujours son fils chéri, son Junior et tout à la fois un autre. Un autre Niklaus qu’elle continuait d’aimer à travers lui. Différemment. Sans regret. Mais un autre qui l’empêchait encore d’aimer Corneille autant que lui la chérissait.
    Elle avisa un banc à l’ombre d’un bananier et s’y posa pour souffler un peu. La douleur l’écartelait par moments. Elle soupira. De toute évidence, ce n’était pas une insolation qui se préparait, mais une fausse couche. Tant pis, songea-t-elle. Ou tant mieux. Elle n’avait accepté l’idée de cet enfant que pour plaire à Corneille.
    — Tout va bien, madame Mary ? demanda une mulâtresse qui secouait un de ses nombreux enfants par le bras, lui promettant une belle fessée à la prochaine escale de son père.
    — Tout va bien, répondit-elle sans hésiter, je profite de l’ombre.
    — Ce foutu soleil, y fait rien qu’abîmer. Mouai !
    — Qu’a-t-il fait ? demanda Mary, en désignant le marmot qui se curait le nez.
    Il était aussi crasseux et pouilleux que sa mère était propre.
    — Il a donné le savon à manger aux cochons. Avec quoi elle va laver, Mamisa, maintenant ? reprit-elle.
    Mary fouilla sa

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