La parfaite Lumiere
les louanges de
Kojirō.
Même en écoutant son père avec
soumission, il pensait tout bas : « Je ne suis pas aussi jeune et
immature que tu le dis. » Et la vérité, c’est qu’en cet instant précis il
se souciait de l’opinion de Musashi comme d’une guigne.
Ils étaient du même âge à peu
près. Même si Musashi possédait un talent exceptionnel, il y avait des limites
à ce qu’il pouvait savoir et à ce qu’il pouvait faire. Dans le passé, Yogorō
était parti un an, deux ans, trois ans même, pour mener la vie ascétique du shugyōsha .
Il avait vécu, étudié quelque temps à l’école d’un autre expert militaire,
étudié le Zen auprès d’un maître sévère. Et pourtant son père, sur un simple
coup d’œil, s’était non seulement formé une opinion qu’Yogorō soupçonnait
exagérée sur la valeur du rōnin inconnu, mais était allé jusqu’à proposer
à Yogorō de prendre Musashi pour modèle.
« Autant rentrer, se dit-il
avec tristesse. Je suppose qu’il n’existe aucun moyen de convaincre un père que
son fils n’est plus un enfant. » Il brûlait d’impatience pour le jour où
Kagenori, le regardant, s’apercevrait soudain qu’il était à la fois un adulte
et un samouraï plein de bravoure. Penser que son père risquait de mourir avant
que ce jour n’arrivât lui faisait de la peine.
— Tiens, Yogorō !
C’est bien Yogorō ?
Yogorō se retourna et vit que
la voix était celle de Nakatogawa Handayū, un samouraï de la Maison de
Hosokawa. Il y avait quelque temps qu’ils ne s’étaient vus bien qu’à une certaine
époque, Handayū eût régulièrement assisté aux cours de Kagenori.
— ... Comment va notre révéré
maître ? Mes fonctions officielles m’occupent tellement que je n’ai pas eu
le temps de lui faire une visite.
— Son état est à peu près
stationnaire, merci.
— Dis donc, j’ai appris que Hōjō
Shinzō s’était attaqué à Sasaki Kojirō et avait été vaincu.
— Tu le sais déjà ?
— Oui, on en parlait ce matin
chez le seigneur Hosokawa.
— Ça ne date que d’hier au
soir.
— Kojirō est l’hôte
d’Iwama Kakubei. Kakubei doit avoir répandu la nouvelle. Même le seigneur
Tadatoshi la connaissait.
Yogorō était trop jeune pour
écouter avec détachement ; pourtant, il répugnait à révéler sa colère par
quelque tressaillement involontaire. Aussi rapidement que possible, il prit
congé de Handayū et se hâta de rentrer chez lui.
Sa décision était prise.
Toute la ville en parle
La femme de Kōsuke se
trouvait à la cuisine en train de préparer du gruau pour Shinzō quand Iori
entra.
— Les prunes jaunissent,
annonça-t-il.
— Si elles sont presque
mûres, ça veut dire que les cigales chanteront bientôt, répondit-elle d’un air
absent.
— Vous ne faites pas de
marinades de prunes ?
— Non. Nous ne sommes pas
nombreux ici, et conserver toutes ces prunes dans la saumure nécessiterait
plusieurs livres de sel.
— Le sel ne serait pas perdu
mais les prunes le seront si vous ne les mettez pas en conserve. Et s’il y
avait la guerre ou une inondation, elles vous seraient bien utiles, vous ne
croyez pas ? Comme vous êtes occupée à soigner le blessé, ça me fera
plaisir de vous les mettre en conserve.
— Seigneur, quel drôle
d’enfant tu es, à t’inquiéter des inondations et de choses de ce genre !
Ce sont là des pensées de vieillard.
Déjà, Iori extrayait de l’armoire
un seau de bois vide. Ce seau à la main, il sortit sans se presser dans le
jardin et leva les yeux vers le prunier. Hélas ! bien qu’assez adulte pour
s’inquiéter de l’avenir, il demeurait assez jeune pour être aisément distrait
par la vue d’une cigale bourdonnante. Il s’approcha sur la pointe des pieds, la
captura et la tint dans ses mains en coupe, la faisant crier comme une sorcière
épouvantée.
Il jeta un coup d’œil entre ses
pouces, et eut une étrange sensation. Les insectes passent pour n’avoir pas de
sang, se dit-il, mais la cigale paraissait chaude. Peut-être que les cigales
elles-mêmes, devant un danger de mort, dégageaient de la chaleur corporelle.
Soudain, il fut saisi d’un mélange de frayeur et de pitié. Ouvrant les paumes,
il lança la cigale en l’air et la regarda s’envoler vers la rue.
Le prunier, d’imposantes
dimensions, était la demeure d’une vaste communauté : grasses chenilles à
la fourrure étonnamment belle,
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