La parfaite Lumiere
ici.
— Il est encore trop tôt pour
faire quoi que ce soit.
Après que le palanquin eut tourné
à droite à côté du fossé externe, ils retroussèrent le bas de leurs kimonos et
leurs manches, et emboîtèrent le pas ; leurs yeux étincelants semblaient
prêts à jaillir de leurs orbites vers le dos de Musashi.
Celui-ci et Shinzō avaient
atteint les abords d’Ushigafuchi lorsqu’une petite pierre vint ricocher sur la
perche du palanquin. Simultanément, la bande se mit à vociférer et à encercler
sa proie.
— Halte ! cria l’un
d’eux.
— Reste où tu es, espèce de
salaud !
Les porteurs épouvantés lâchèrent
le palanquin et prirent la fuite. Shinzō se glissa hors du palanquin, la
main au sabre. Il se leva, se mit en garde et cria :
— C’est à moi que vous dites
de m’arrêter ?
Musashi bondit devant lui en
criant :
— Expliquez-vous !
Les voyous se rapprochaient
centimètre par centimètre, prudemment, comme s’ils eussent tâtonné pour
franchir un gué.
— Tu le sais bien, ce que
nous voulons ! cracha l’un d’eux. Livre-nous ce froussard que tu protèges.
Et n’essaie pas de faire le malin, ou tu es mort, toi aussi.
Encouragés par ces bravades, ils
écumaient ; mais aucun ne s’avança pour porter un coup de sabre. Les
flammes lancées par les yeux de Musashi suffisaient à les tenir en échec. Ils
hurlaient et juraient... à distance respectueuse. Musashi et Shinzō les foudroyaient
du regard en silence. Quelques instants s’écoulèrent avant que Musashi ne les
prît par surprise en criant :
— Si Hangawara Yajibei se
trouve parmi vous, qu’il s’avance.
— Le patron n’est pas là.
Mais si tu as quelque chose à dire, adresse-toi à moi, Nembutsu Tazaemon, et je
te ferai la faveur d’écouter.
L’homme d’un certain âge qui
s’avança portait un kimono de chanvre blanc, et un chapelet bouddhiste autour
du cou.
— Qu’as-tu contre Hōjō
Shinzō ?
Bombant le torse, Tazaemon
répliqua :
— Il a massacré deux des
nôtres.
— D’après Shinzō, vos
deux brutes ont aidé Kojirō à tuer un certain nombre d’élèves d’Obata.
— C’était là une chose. Ceci
en est une autre. Si nous ne réglons pas son compte à Shinzō, nous serons
la risée publique.
— Ça se passe peut-être ainsi
dans le monde où vous vivez, dit Musashi d’un ton conciliant. Mais dans le
monde des samouraïs, c’est différent. Chez les guerriers, on ne peut en vouloir
à un homme de chercher une juste vengeance et de l’assouvir. Un samouraï peut
se venger dans un souci de justice ou pour défendre son honneur, mais non pour
satisfaire une rancune personnelle. Ce n’est pas digne d’un homme. Et ce que
vous essayez de faire en cet instant n’est pas digne d’un homme.
— Pas digne d’un homme ?
Tu nous accuses de n’être pas des hommes ?
— Si Kojirō s’avançait
pour nous défier en son propre nom, ça irait. Mais nous ne pouvons nous mêler à
des chamailleries suscitées par des subordonnés de Kojirō.
— Le voilà qui prêche la
vertu outragée, comme tous les samouraïs !... Tu as beau dire, nous avons
à protéger notre réputation.
— Si les samouraïs et les
hors-la-loi se battent pour savoir la loi de qui prévaudra, les rues seront
pleines de sang. Le seul endroit pour régler ce litige, c’est le cabinet du
magistrat. Qu’en penses-tu, Nembutsu ?
— Billevesées ! D’abord,
si le magistrat pouvait régler ce genre de chose, nous ne serions pas ici.
— Dis-moi, quel âge
as-tu ?
— Ça te regarde ?
— Tu m’as l’air assez vieux
pour savoir que tu ne devrais pas conduire une troupe de jeunes gens à une mort
absurde.
— Ah ! garde pour toi
tes paroles astucieuses. Je ne suis pas trop vieux pour me battre !
Tazaemon tira son sabre, et les
voyous s’avancèrent, criant et se bousculant. Musashi évita le coup de
Tazaemon, qu’il saisit par sa nuque grise. Il parcourut à grandes enjambées les
quelque dix pas qui les séparaient du fossé, et jeta Tazaemon par-dessus bord,
sans autre forme de procès. Puis, comme la bande le cernait, il bondit en
arrière, souleva Shinzō par la taille et s’éloigna avec lui. Il courut à
travers un champ vers la mi-pente d’une colline. Au-dessous d’eux, un cours
d’eau se jetait dans le fossé, et l’on distinguait au bas de la pente un marais
bleuâtre. A mi-hauteur, Musashi s’arrêta et déposa Shinzō.
— Maintenant,
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