La parfaite Lumiere
courons.
Shinzō hésita, mais Musashi
le poussa. Les voyous, remis de leur saisissement, leur donnaient la chasse.
— Attrapez-le !
— Pas
d’amour-propre !...
— Ça, un samouraï ?...
— Il ne peut pas avoir jeté
Tazaemon dans le fossé et s’en tirer comme ça !
Sans tenir compte des quolibets et
des insultes, Musashi dit à Shinzō :
— Ne songez pas un instant à
vous mêler à eux. Fuyez ! C’est la seule chose à faire en pareil cas.
Avec un large sourire, il
ajouta :
— ... Ce n’est pas si facile,
d’aller vite sur ce terrain, vous ne trouvez pas ?
Ils traversaient ce qui se
nommerait un jour Ushigafuchi et la colline de Kudan, mais à l’époque cette
zone était fortement boisée. Lorsqu’ils eurent semé leurs poursuivants, Shinzō
était d’une pâleur mortelle.
— ... Ereinté ? demanda
Musashi avec sollicitude.
— Ça... ça peut aller.
— J’imagine que ça vous
déplaît de les laisser nous insulter ainsi sans nous défendre.
— Mon Dieu...
— Ha ! ha !
Réfléchissez-y calmement et vous en verrez la raison. Il y a des cas où l’on se
sent mieux de fuir. Il y a un ruisseau, là-bas. Rincez-vous la bouche, après
quoi je vous conduirai chez votre père.
Quelques minutes plus tard, la
forêt qui entourait le sanctuaire d’Akagi Myōjin était en vue. La maison
du seigneur Hōjō se dressait juste au-dessous.
— J’espère que vous allez
entrer et rencontrer mon père, dit Shinzō lorsqu’ils arrivèrent au mur de
terre qui entourait la maison.
— Une autre fois.
Reposez-vous beaucoup et soignez-vous bien.
Sur quoi, il tourna les talons.
Après cet incident, le nom de
Musashi fut très souvent prononcé dans les rues d’Edo, bien plus souvent qu’il
ne l’eût souhaité. On le traitait d’imposteur, de « lâche des
lâches » ; on disait : « C’est une honte pour la classe des
samouraïs. Si un charlatan pareil a vaincu les Yoshioka à Kyoto, ils devaient
être d’une lamentable faiblesse. Il doit les avoir défiés en sachant qu’ils ne
pourraient se défendre. Après quoi, il a dû prendre la fuite avant de courir le
moindre danger véritable. Cet imposteur ne veut qu’une chose : se faire un
nom auprès des gens qui n’entendent rien à l’art du sabre. » Bientôt, il
fut impossible de trouver personne pour dire du bien de lui.
L’insulte suprême fut placardée
dans tout Edo : « Ceci s’adresse à Miyamoto Musashi, qui a pris la
fuite. La douairière Hon’iden brûle de se venger. Nous aussi, nous aimerions
voir ta figure au lieu de ton dos, pour changer. Si tu es un samouraï,
montre-toi et bats-toi. L’Association Hangawara. »
Livre VI LE SOLEIL ET LA LUNE
Une causette avec les hommes
Avant le petit déjeuner, le
seigneur Hosokawa Tadatoshi commençait sa journée par l’étude des classiques
confucéens. Ses fonctions officielles, qui réclamaient souvent sa présence au
château d’Edo, occupaient la majeure partie de son temps ; néanmoins,
quand son horaire le lui permettait il pratiquait les arts martiaux. Chaque
fois que c’était possible, il aimait à passer ses soirées en compagnie des
jeunes samouraïs qui se trouvaient à son service.
L’atmosphère ressemblait assez à
celle d’une harmonieuse famille réunie autour de son patriarche ; cette
atmosphère n’était certes pas tout à fait libre, car on n’encourageait pas
l’idée que Sa Seigneurie fût à égalité avec les autres ; pourtant, les
rigueurs habituelles de l’étiquette se relâchaient un peu. Tadatoshi, étendu
nonchalamment en kimono de chanvre léger, favorisait un échange d’idées qui
souvent incluait les derniers potins.
— Okatani... dit Sa
Seigneurie à l’un des plus robustes de ses hommes.
— Monsieur ?
— L’on me dit que tu es
devenu très bon à la lance.
— Exact. Très bon, en effet.
— Ha ! ha ! La
fausse modestie ne t’étouffe certes pas.
— Mon Dieu, monsieur, puisque
tout le monde le dit, pourquoi le nierais-je ?
— Un de ces jours, je
m’assurerai par moi-même des progrès de ta technique.
— J’ai attendu ce jour avec
impatience, mais il semble qu’il ne vienne jamais.
— Tu as de la chance qu’il ne
vienne pas.
— Dites-moi, monsieur,
avez-vous entendu la chanson que tout le monde chante ?
— Laquelle ?
— Elle dit :
Il y a lancier et lancier,
Toutes sortes de
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