La parfaite Lumiere
coccinelles, minuscules grenouilles bleues
accrochées sous les feuilles, petits papillons dormants, taons danseurs.
Contemplant fasciné ce petit coin du royaume animal, Iori songea qu’il serait
inhumain de plonger dans la consternation ces messieurs et ces dames en
secouant une branche. Il tendit une main précautionneuse, cueillit une prune et
mordit dedans. Puis il secoua doucement la branche la plus proche, et s’étonna
de ne pas voir tomber les fruits. Il cueillit quelques prunes, et les jeta dans
le seau.
— Salaud ! cria Iori en
lançant brusquement trois ou quatre prunes dans l’étroite allée qui longeait la
maison.
La perche à sécher le linge, entre
la maison et la clôture, tomba par terre avec fracas, et des pas précipités
battirent en retraite entre l’allée et la rue. La figure de Kōsuke apparut
à la grille de bambou de la fenêtre de son atelier.
— Quel était ce bruit ?
demanda-t-il en ouvrant de grands yeux étonnés.
Iori sauta à bas de l’arbre et
cria :
— Encore un inconnu caché
dans l’ombre, tapi là, en plein dans l’allée ! Je lui ai lancé des prunes,
et il a pris la fuite.
Le polisseur de sabres sortit en
s’essuyant les mains avec une serviette.
— Quel genre d’homme ?
— Un bandit.
— L’un des hommes de
Hangawara ?
— Je ne sais pas. Pourquoi
est-ce que tous ces hommes viennent fouiner par ici ?
— Ils guettent l’occasion de
se venger de Shinzō.
Iori regarda vers la chambre du
fond, où le blessé terminait son gruau. Sa blessure s’était cicatrisée au point
qu’il n’avait plus besoin de pansement.
— Kōsuke... appela Shinzō.
L’artisan s’avança jusqu’au bord
de la véranda et demanda :
— Comment vous
sentez-vous ?
Repoussant son plateau, Shinzō
se rassit de façon plus protocolaire.
— Je tiens à vous présenter
mes excuses de vous causer autant d’ennuis.
— C’est tout naturel. Je
regrette d’avoir été trop occupé pour faire davantage.
— Je m’aperçois qu’en plus
des tracas que je vous cause, vous êtes ennuyé par ces chenapans de Hangawara.
Plus je reste, plus vous risquez qu’ils n’en viennent à vous considérer vous
aussi comme un ennemi. Je crois que je devrais partir.
— N’y songez pas.
— Je vais maintenant beaucoup
mieux, comme vous pouvez le constater. Je suis prêt à rentrer chez moi.
— Aujourd’hui ?
— Oui.
— Rien ne presse. Attendez au
moins le retour de Musashi.
— Je préfère ne pas
l’attendre ; mais veuillez le remercier de ma part. Il a été d’une grande
bonté pour moi, lui aussi. Maintenant, je puis marcher convenablement.
— Vous ne semblez pas
comprendre. Les hommes de Hangawara surveillent cette maison jour et nuit. Ils
se jetteront sur vous dès que vous mettrez le pied dehors. Il m’est impossible
de vous laisser partir seul.
— J’avais une bonne raison de
tuer Jūrō et Koroku. Kojirō est à l’origine de toute cette
affaire, pas moi. Mais s’ils veulent m’attaquer, qu’ils m’attaquent.
Shinzō était debout, prêt à
s’en aller. Sentant qu’il n’y avait aucun moyen de le retenir, Kōsuke et
sa femme se rendirent devant la boutique pour le voir partir. A ce moment
précis, Musashi parut à la porte, son front brûlé par le soleil, humide de
sueur.
— Vous sortez ?
demanda-t-il. Vous rentrez chez vous ?... Eh bien, je suis content de voir
que vous allez assez bien pour ça, mais il serait dangereux de partir seul. Je
vous accompagne.
Shinzō tenta de refuser mais
Musashi insista. Quelques minutes plus tard, ils se mettaient en route
ensemble.
— Après avoir été couché si
longtemps, marcher doit être difficile.
— Je ne sais pourquoi, le sol
paraît plus haut qu’il ne l’est en réalité.
— Hirakawa Tenjin est bien
loin. Pourquoi ne louerions-nous pas un palanquin pour vous ?
— Je suppose que j’aurais
déjà dû vous le dire : je ne rentre pas à l’école.
— Ah ? Alors, où ?
Baissant les yeux, Shinzō
répondit :
— C’est assez humiliant mais
je crois que je vais aller quelque temps chez mon père. C’est à Ushigome.
Musashi héla un palanquin et y fit
monter Shinzō presque de force. Malgré l’insistance des porteurs, Musashi
en refusa un pour lui-même... à la déception des hommes de Hangawara qui
guettaient au coin de rue le plus proche :
— Regarde, il a mis Shinzō
dans un palanquin.
— Je l’ai vu jeter un coup
d’œil par
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