La parfaite Lumiere
Considérée sous cet angle, estimait Tadatoshi, la jeunesse de Kojirō
jouait en sa faveur. Il était encore dans ses années de formation, et par
conséquent susceptible d’être façonné dans une certaine mesure.
Tadatoshi se rappelait aussi
l’autre rōnin. Nagaoka Sado avait mentionné Musashi pour la première fois
à l’une de ces réunions du soir. Bien que Sado eût laissé Musashi lui filer
entre les doigts, Tadatoshi ne l’avait pas oublié. Si les renseignements de
Sado étaient exacts, Musashi était à la fois un meilleur combattant que
Kojirō et un homme d’une étoffe suffisante pour être précieux au
gouvernement.
En comparant les deux, il devait
reconnaître que la plupart des daimyōs eussent préféré Kojirō. De
bonne famille, il avait étudié à fond l’Art de la guerre. Malgré sa jeunesse,
il avait mis au point un redoutable style personnel, et s’était acquis une
considérable renommée de combattant. L’histoire de sa « brillante »
victoire sur les hommes de l’Académie Obata au bord du fleuve Sumida et de
nouveau sur la digue de la rivière Kanda était déjà bien connue.
Depuis quelque temps, l’on ne
savait plus rien de Musashi. Sa victoire d’Ichijōji avait forgé sa
réputation. Mais cela datait de plusieurs années, et peu après le bruit s’était
répandu que l’histoire était exagérée, que Musashi, assoiffé de gloire, avait
truqué la bataille, fait une attaque tapageuse, puis s’était réfugié au mont
Hiei. Chaque fois que Musashi faisait quelque chose de méritoire, un flot de
rumeurs suivait, dénigrant son caractère et ses talents. C’en était arrivé au
point que la simple mention de son nom suscitait le plus souvent la critique. A
moins qu’on ne l’ignorât totalement. Fils d’un guerrier obscur des montagnes de
Mimasaka, sa généalogie était insignifiante. Certes, d’autres hommes d’humble
origine – dont le plus notable était Toyotomi Hideyoshi, venu de
Nakamura dans la province d’Owari – avaient accédé peu de temps auparavant
à la gloire ; pourtant, dans l’ensemble, les gens avaient l’esprit de
classe et étaient peu enclins à accorder grande attention à un homme ayant les
origines de Musashi. Tout en méditant la question, Tadatoshi promena les yeux
autour de lui et demanda :
— ... L’un d’entre vous
a-t-il entendu parler d’un samouraï du nom de Miyamoto Musashi ?
— Musashi ? répondit une
voix surprise. Comment n’en aurait-on pas entendu parler ? Toute la ville
est au courant.
Il était manifeste que ce nom leur
était familier à tous.
— Et pourquoi donc ?
demanda Tadatoshi, curieux.
— Il y a des inscriptions sur
lui, risqua un jeune homme, un peu réticent.
Un autre, du nom de Mori, fit
chorus :
— Des gens copiaient ces
inscriptions ; j’en ai fait autant. J’ai le texte sur moi. Voulez-vous que
je vous le lise ?
— Je vous en prie.
— Ah ! le voici, dit
Mori en dépliant un bout de papier froissé. « Ceci s’adresse à Miyamoto
Musashi, qui a pris la fuite... »
Il y eut des haussements de
sourcils et des sourires s’esquissèrent, mais le visage de Tadatoshi restait
grave.
— C’est tout ?
— Non.
Il lut le reste et ajouta :
— ... Ce texte a été placardé
par une bande de jeunes du quartier des charpentiers. Les gens trouvent ça
drôle, car ce sont des voyous des rues qui s’en prennent à un samouraï.
Tadatoshi fronça légèrement le
sourcil, estimant que les paroles qui flétrissaient Musashi mettaient en cause
son propre jugement. On se trouvait loin de l’image qu’il s’était formée de
Musashi. Mais il n’était pas disposé à prendre pour argent comptant ce qu’il
entendait là.
— Hum... murmura-t-il. Je me
demande si Musashi est vraiment ce qu’ils prétendent.
— A mon avis, c’est un
paltoquet sans intérêt, dit Mori dont les autres partageaient l’opinion. Ou du
moins un lâche. Sinon, pourquoi laisserait-il traîner son nom dans la
boue ?
L’horloge sonna et les hommes
prirent congé mais Tadatoshi resta assis, songeant : « Cet homme a
quelque chose d’intéressant. » N’étant pas de ceux que gouverne l’opinion
prédominante, il était curieux de connaître la version Musashi de l’histoire.
Le lendemain matin, après avoir
assisté à un cours sur les classiques chinois, il sortit de son cabinet sur la
véranda et aperçut Sado dans le jardin.
— Bonjour, mon vieil
ami !
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