La parfaite Lumiere
fit procurer par les domestiques des zōri neuves et un nouveau chapeau de vannerie.
— ... Y a-t-il un cheval que
je puisse monter ? demanda-t-il.
— Oui. Le cheval de relais du
maître, le blanc, est à la boutique, au bas de la colline.
N’ayant pas trouvé le fleuriste,
Kojirō regarda en direction du temple, de l’autre côté de la route, où un
groupe de gens était rassemblé autour d’un cadavre couvert d’une natte de
roseaux. Il alla jeter un coup d’œil.
Ils organisaient l’enterrement
avec le prêtre local. Le mort n’avait sur lui rien qui permît de
l’identifier ; nul ne savait qui il était, seulement qu’il était jeune et
de la classe des samouraïs. Autour de la profonde entaille qui allait de
l’extrémité d’une épaule à la taille, le sang avait séché et noirci.
— Je l’ai déjà vu. Il y a
environ quatre jours, dans la soirée, dit le fleuriste, qui continua de parler
avec animation jusqu’à ce qu’il sentît une main se poser sur son épaule.
Il leva les yeux pour voir qui
c’était ; Kojirō lui déclara :
— Il paraît que vous gardez
le cheval de Kakubei. Préparez-le-moi, je vous prie.
Le fleuriste s’inclina vivement,
demanda pour la forme « Vous sortez ? », et s’éloigna en hâte.
Il flatta au col le coursier gris
pommelé en le sortant de son écurie.
— Bon cheval, observa
Kojirō.
— Oui-da. Bel animal.
Voyant Kojirō en selle, le
fleuriste rayonnant lui déclara :
— Ça fait une belle paire.
Kojirō tira de l’argent de sa
bourse, et le jeta à l’homme :
— Voilà pour des fleurs et de
l’encens.
— Hein ? Pour qui
donc ?
— Pour le mort, là-bas.
Au-delà du portail du temple,
Kojirō s’éclaircit la gorge et cracha comme afin d’éjecter le goût amer
laissé par la vue du cadavre. Mais il avait l’impression lancinante que le
jeune homme qu’il avait abattu avec la « Perche à sécher » venait de
rejeter la natte de roseaux, et le suivait. « Je n’ai rien fait pour
mériter sa haine », se dit-il, et cette idée le rasséréna.
Tandis que cheval et cavalier
suivaient la grand-route de Takanawa sous un soleil ardent, bourgeois et
samouraïs se rangeaient pour les laisser passer. Des têtes se tournaient pour
les admirer. Jusque dans les rues d’Edo, Kojirō faisait grand effet ;
les gens se demandaient qui il était, d’où il venait. A la résidence Hosokawa,
il confia le cheval à un domestique et entra dans la maison. Kakubei s’élança
au-devant de lui.
— Merci d’être venu. Et c’est
juste le bon moment, déclara-t-il, comme si Kojirō lui faisait à lui-même
une grande faveur. Reposez-vous un peu. Je vais dire à Sa Seigneurie que vous
êtes là.
Auparavant, il s’assura que son
invité fût bien pourvu d’eau fraîche, d’infusion d’orge et d’un plateau de
tabac. Lorsqu’un membre de la suite se présenta pour le conduire au champ de
tir à l’arc, Kojirō lui remit sa chère « Perche à sécher », et
l’accompagna en ne portant que son sabre court.
Le seigneur Tadatoshi avait résolu
de tirer cent flèches par jour au cours des mois d’été. Un certain nombre de
membres proches de sa cour étaient toujours là, à observer chaque coup en
retenant leur souffle, et à se rendre utiles en rapportant les flèches.
— Donnez-moi une serviette,
ordonna Sa Seigneurie, debout, son arc au flanc.
Kakubei, à genoux, demanda :
— Puis-je vous interrompre,
messire ?
— Qu’y a-t-il ?
— Sasaki Kojirō est là.
Je serais heureux de vous le présenter.
— Sasaki ? Ah !
oui.
Il adapta une flèche à la corde et
leva son arme au-dessus des sourcils. Ni lui ni aucun des autres n’accordèrent
à Kojirō le moindre regard avant la fin des cent coups. Tadatoshi dit en
soupirant :
— ... De l’eau. Apportez-moi
de l’eau.
Un serviteur en apporta du puits,
et la versa dans un grand bassin de bois aux pieds de Tadatoshi. Laissant
pendre la partie supérieure de son kimono, il s’essuya le torse et se lava les
pieds. Ses hommes l’assistaient en lui tenant les manches, en courant chercher
un supplément d’eau, en lui frictionnant le dos. Rien de cérémonieux dans leur
comportement, rien qui pût indiquer à un observateur qu’il s’agissait d’un daimyō
et de sa suite.
Kojirō avait supposé que
Tadatoshi, poète et esthète, fils du seigneur Sansai et petit-fils du seigneur Yūsai,
serait un homme de maintien aristocratique,
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