La parfaite Lumiere
remarquable en rien. Seulement, les charlatans courent les
rues.
— L’on m’a dit que je
pourrais vous amener à n’importe quel moment. Quand voudriez-vous y
aller ?
— N’importe quand me convient
aussi.
— Demain ?
— Ça me va.
Son expression ne trahissait ni
impatience, ni anxiété, seulement une calme confiance en soi. Encore plus
impressionné par son sang-froid, Kakubei choisit cet instant pour déclarer d’un
ton neutre :
— Bien entendu, vous
comprenez que Sa Seigneurie ne pourra prendre de décision définitive avant de
vous avoir vu. Cela ne doit pas vous inquiéter. Ce n’est que pour la forme. Je
ne doute pas que le poste ne vous soit offert.
Kojirō posa sa coupe sur la
table et considéra Kakubei en plein visage. Puis, très froidement et d’un ton
de défi, il dit :
— J’ai changé d’avis. Je
regrette de vous avoir occasionné toute cette peine.
Il semblait que le sang allait
jaillir des lobes de ses oreilles, déjà rendus cramoisis par la boisson.
— Qu... quoi ? bégaya
Kakubei. Vous voulez dire que vous renoncez à la chance d’avoir un poste dans
la Maison de Hosokawa ?
— L’idée ne me plaît pas,
répondit sèchement son hôte sans s’expliquer davantage.
Son orgueil lui disait qu’il
n’avait aucune raison de se soumettre à une inspection ; des douzaines
d’autres daimyōs sauteraient sur lui les yeux fermés pour quinze cents,
voire deux mille cinq cents boisseaux. La déception et la perplexité de Kakubei
ne semblaient pas faire la moindre impression sur lui, non plus qu’il ne
s’inquiétait de passer pour un ingrat et pour un entêté. Sans la moindre trace
de doute ou de remords, il acheva sa nourriture en silence et retourna chez
lui.
Le clair de lune tombait doucement
sur le tatami. Ivre, il s’étendit par terre, les mains derrière la tête, et se
mit à rire tout bas. « Un bien brave homme, ce Kakubei. Bon vieux Kakubei... »
Il savait que son hôte serait fort en peine d’expliquer à Tadatoshi ce brusque
revirement, mais il savait aussi que Kakubei ne lui garderait pas rancune bien
longtemps, quelque outrageuse que fût sa conduite.
Il avait eu beau nier
vertueusement tout intérêt pour la solde, en réalité l’ambition le dévorait. Il
voulait se faire connaître dans tout le pays comme un grand homme, un homme
arrivé, couvrir de gloire sa maison d’Iwakuni, jouir de chacun des bienfaits
que l’on peut tirer de la condition humaine. La route la plus rapide vers la
gloire et la richesse consistait à exceller dans les arts martiaux. Il avait la
chance de posséder un don naturel pour l’épée ; il ne l’ignorait pas, et
n’en tirait pas une mince vanité. Il avait organisé sa carrière intelligemment
et avec une remarquable prévoyance. Chacune de ses actions était calculée pour
le rapprocher de son but. De son point de vue, Kakubei, bien que son aîné,
était naïf et quelque peu sentimental.
Il s’endormit en rêvant de son
brillant avenir.
Plus tard, quand le clair de lune
eut avancé d’un pied sur le tatami, une voix aussi douce que la brise qui
chuchotait à travers les bambous dit :
— Allons.
Une ombre, tapie parmi les
moustiques, rampa comme une grenouille vers l’auvent de la maison non éclairée.
L’homme mystérieux, entrevu plus tôt au pied de la colline, s’avança lentement,
silencieusement jusqu’à ce qu’il atteignît la véranda, où il s’arrêta pour
regarder à l’intérieur de la chambre. Caché dans l’ombre, hors du clair de
lune, il aurait pu passer indéfiniment inaperçu si lui-même n’avait pas fait de
bruit.
Kojirō ronflait toujours. Le
doux bourdonnement des insectes, interrompu brièvement alors que l’homme se
mettait en place, reprit dans l’herbe humide de rosée.
Plusieurs minutes s’écoulèrent.
Puis le silence fut rompu par le vacarme que fit l’homme en dégainant à la
vitesse de l’éclair et en bondissant sur la véranda.
Il sauta vers Kojirō et
cria : « Aâââh ! », un instant avant de serrer les dents
pour frapper.
Il y eut un sifflement strident
tandis qu’un long objet noir descendait pesamment sur son poignet ; mais à
l’origine, son coup avait été puissant. Au lieu de tomber de sa main, son sabre
s’enfonça dans le tatami, à l’endroit où s’était trouvé le corps de
Kojirō.
Ainsi qu’un poisson s’écarte comme
une flèche d’une perche qui frappe l’eau, celui qui devait être la
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