La parfaite Lumiere
victime
avait bondi vers le mur. Il était maintenant debout face à l’intrus, la
« Perche à sécher » dans une main, son fourreau dans l’autre.
— Qui es-tu ?
La respiration de Kojirō
était calme. Comme toujours attentif aux bruits de la nature, jusqu’à la chute
d’une goutte de rosée, il était imperturbable.
— C’est... c’est... c’est
moi !
— « Moi » ne me
renseigne pas. Je sais que tu es un lâche, d’attaquer un homme qui dort.
Comment t’appelles-tu ?
— Je suis Yogorō, le
fils unique d’Obata Kagenori. Tu as profité de la maladie de mon père. Et tu
l’as diffamé dans toute la ville.
— Ce n’était pas moi qui le
diffamais. C’étaient les diffamateurs : les habitants d’Edo.
— Qui donc a attiré ses
élèves au combat pour les tuer ?
— Moi, aucun doute là-dessus.
Moi, Sasaki Kojirō. Comment faire, si je suis meilleur qu’eux ? Plus
fort. Plus brave. Plus savant dans l’Art de la guerre.
— Comment peux-tu avoir le
culot de dire ça, alors que tu as fait appel, pour t’aider, à la vermine de
Hangawara ?
Avec un grondement de dégoût,
Kojirō s’avança d’un pas.
— Si tu veux me haïr,
vas-y ! Mais tout homme qui apporte une rancune personnelle dans une
épreuve de force selon l’Art de la guerre n’est pas même un lâche. Il est pire,
plus pitoyable, plus risible... Ainsi donc, une fois de plus il me faut tuer un
Obata. Y es-tu résigné ?
Pas de réponse.
— ... J’ai dit : es-tu
résigné à ton sort ?
Il s’avança encore d’un pas. Au
cours de ce mouvement, la clarté lunaire, reflétée par la lame nouvellement
polie de son épée, aveugla Yogorō. Kojirō dévorait des yeux sa proie,
comme un affamé dévore des yeux un festin.
L’aigle
Kakubei regrettait de s’être
laissé humilier, et se jurait de ne plus rien avoir à faire avec Kojirō.
Pourtant, au fond de lui-même, il aimait cet homme. Ce qu’il n’aimait pas,
c’était d’être pris entre son maître et son protégé. Alors, il se mit à
reconsidérer la question.
« Peut-être que la réaction
de Kojirō prouve à quel point il est exceptionnel. Un samouraï quelconque
aurait bondi sur la chance de cette entrevue. » Plus il réfléchissait sur
l’accès de susceptibilité de Kojirō, plus il était séduit par l’esprit
d’indépendance de ce rōnin.
Durant les trois jours qui
suivirent, Kakubei fut de service de nuit. Il ne vit Kojirō que le matin
du quatrième jour, où il se rendit chez le jeune homme. Après un silence bref,
mais contraint, il déclara :
— J’ai à vous parler une
minute, Kojirō. Hier, au moment où je partais, le seigneur Tadatoshi m’a
questionné à votre sujet. Il a dit qu’il vous verrait. Pourquoi ne passeriez-vous
pas au champ de tir à l’arc, jeter un coup d’œil à la technique Hosokawa ?
Kojirō fit sans répondre un
large sourire, et Kakubei ajouta :
— ... Je ne vois pas pourquoi
vous vous obstinez à trouver cela humiliant. C’est l’usage, que d’avoir une
entrevue avec un homme avant de lui proposer un poste officiel.
— Je sais, mais supposons
qu’il me rejette ; alors ?... Je serais un proscrit, vous ne croyez
pas ? Je ne suis pas dans le besoin au point de devoir faire du porte à
porte pour me vendre au plus offrant.
— Alors, c’est moi le
coupable. Je me suis mal exprimé. Sa Seigneurie n’a jamais voulu sous-entendre
une chose pareille.
— Eh bien, que lui avez-vous
répondu ?
— Rien encore. Mais il m’a
l’air de s’impatienter un peu.
— Ha ! ha ! Vous
avez été fort prévenant, fort serviable. Je suppose que je ne devrais pas vous
mettre dans une situation aussi délicate.
— Ne voudriez-vous pas
reconsidérer la question : aller voir, une seule fois, le seigneur
Tadatoshi ?
— Soit, si vous y tenez à ce
point, répondit Kojirō d’un ton protecteur, mais Kakubei n’en fut pas
moins satisfait.
— Aujourd’hui ?
— Si tôt ?
— Oui.
— Quelle heure ?
— Que diriez-vous d’un peu
après midi ? C’est l’heure où il s’exerce au tir à l’arc.
— Bon, j’y serai.
Kojirō se lança dans des préparatifs
compliqués en vue de la rencontre. Il choisit un kimono d’excellente qualité,
et un hakama en tissu d’importation. Sur le kimono, il portait un genre
de gilet de cérémonie en pure soie, sans manches mais aux épaules empesées,
évasées. Pour compléter sa parure, il se
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