La parfaite Lumiere
jeté un
coup d’œil à plusieurs grands bols de porcelaine, Kojirō prit du riz et du
poisson, versa du thé sur le riz, éloigna une mouche avec ses baguettes, et se
mit à manger. L’un des autres clients se leva et risqua un œil à travers une
lame brisée de la persienne.
— Regarde donc là-bas, dit-il
à son compagnon. Ce n’est pas le marchand de pastèques ?
L’autre se précipita vers la
persienne afin de regarder au-dehors.
— Oui, c’est bien lui.
Le marchand, portant sur l’épaule
une perche chargée de paniers à chaque bout, passait sans se presser devant le
Donjiki. Les deux samouraïs s’élancèrent hors de la boutique et le rejoignirent.
Ils tirèrent leurs sabres, et coupèrent les cordes qui tenaient les paniers. Le
marchand trébucha en avant avec ses pastèques. Hamada le releva par la peau du
cou.
— ... Où l’as-tu
emmenée ? demanda-t-il avec irritation. Ne mens pas. Tu dois la cacher
quelque part.
L’autre samouraï avança
l’extrémité de son sabre sous le nez du captif.
— Accouche ! Où
est-elle ?
La lame du sabre, menaçante,
battait contre la joue de l’homme.
— Comment, avec une face
comme la tienne, peut-on songer à partir avec la femme d’un autre ?
Le marchand, rouge de colère et de
frayeur, secoua la tête ; mais alors, voyant une issue, il écarta l’un de
ses agresseurs, ramassa sa perche et la brandit en direction de l’autre.
— Comme ça, on veut se
battre, hein ? Attention, Hamada, ce personnage n’est pas un marchand de
pastèques ordinaire.
— Que peut faire cet
âne ? railla Hamada en arrachant la perche et en renversant le marchand.
A califourchon sur lui, il se
servit des cordes pour l’attacher à la perche. Un cri de porc égorgé s’éleva
derrière lui. Hamada tourna la tête. L’air totalement abasourdi, il se releva
d’un bond en criant :
— ... Qui êtes-vous ?
Qu’est-ce que...
Telle une vipère la lame
s’élançait droit sur lui. Kojirō riait et, tandis que Hamada reculait, le
poursuivait impitoyablement. Tous deux décrivaient un cercle dans l’herbe.
Quand Hamada reculait d’un pas, Kojirō s’avançait d’un pas. Quand Hamada
sautait de côté, la « Perche à sécher » suivait, pointée inflexiblement
vers sa future victime. Le marchand de pastèques, stupéfait, s’écria :
— Kojirō ! C’est
moi. Sauvez-moi !
Hamada pâlit et haleta :
— Ko-ji-rō !
Alors, il fit demi-tour et tenta
de s’enfuir.
— Où vas-tu comme ça ?
aboya Kojirō.
La « Perche à sécher »
étincela à travers l’atmosphère lourde, tranchant une oreille de Hamada et se
logeant profondément dans la chair, au-dessous des épaules. Sa mort fut instantanée.
Kojirō eut tôt fait de couper les liens du marchand de pastèques.
S’asseyant de façon protocolaire, l’homme s’inclina et demeura penché, trop
gêné pour montrer son visage. Kojirō essuya et rengaina son épée. L’air un
peu amusé, il demanda :
— ... Qu’est-ce qui t’arrive,
Matahachi ! N’aie pas l’air aussi lamentable. Tu as la vie sauve.
— Oui, monsieur.
— Pas de « oui,
monsieur » entre nous. Regarde-moi. Ça fait longtemps que nous ne nous
sommes vus, n’est-ce pas ?
— Je suis content de
constater que vous allez bien.
— Pourquoi n’irais-je pas
bien ? Mais je dois dire que tu as pris un métier inattendu.
— Ne parlons pas de ça.
— Soit. Ramasse tes
pastèques. Et puis... je sais : pourquoi ne les laisserais-tu pas au
Donjiki ?
Il appela à grands cris le patron
qui les aida à empiler les pastèques derrière les stores. Kojirō sortit
son pinceau, son encre, et inscrivit sur l’un des shoji : « A ceux
que cela peut intéresser. Moi, Sasaki Kojirō, rōnin résidant à
Tsukinomisaki, je certifie que j’ai tué les deux hommes qui gisent dans ce
terrain vague. » Au patron, il déclara :
— ... Voilà qui évitera que
quiconque vous ennuie à propos de ces meurtres.
— Merci, monsieur.
— Il n’y a pas de quoi. Si
des amis ou des parents des morts se présentaient, veuillez leur transmettre de
ma part ce message. Dites-leur que je ne fuirai pas. S’ils veulent me voir, je
suis prêt à les accueillir à tout moment.
Ressorti, il dit à
Matahachi :
— ... En route.
Matahachi marchait à son côté,
mais sans détacher les yeux du sol. Pas une seule fois depuis son arrivée à
Edo, il n’avait exercé un travail régulier. Quelles que
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