La parfaite Lumiere
apparurent par hasard, eux
aussi : les eaux usées se frayaient seules un chemin vers la plus proche
rivière. Sans ces taudis de camelote, l’afflux des nouveaux arrivants n’eût pas
trouvé place. La plupart des habitants de ces endroits étaient, bien sûr, des
ouvriers.
Près de chez lui, Matahachi fut
salué par un voisin du nom d’Umpei, le patron d’une équipe de puisatiers. Umpei
se tenait assis jambes croisées dans un large baquet ; l’on ne voyait que
sa figure au-dessus du volet placé de guingois devant le baquet dans un souci
de décence.
— Bonsoir, dit Matahachi. On
prend son bain, à ce que je vois.
— Je vais bientôt avoir fini,
répondit cordialement le patron. Voulez-vous prendre la suite ?
— Merci, mais Akemi a dû me
faire chauffer de l’eau.
— Vous vous aimez bien, tous
les deux, n’est-ce pas ? Personne, par ici, ne paraît savoir si vous êtes
frère et sœur ou mari et femme. Lequel des deux ?
Matahachi eut un petit rire
embarrassé. L’apparition d’Akemi lui évita de répondre. Elle disposa un baquet
sous un plaqueminier, et apporta de la maison de pleins seaux d’eau chaude afin
de le remplir. Cela fait, elle dit :
— Matahachi, regarde si c’est
assez chaud.
— C’est un peu trop chaud.
L’on entendit grincer la poulie du
puits, et Matahachi, nu à l’exception de son pagne, tira un seau d’eau froide
qu’il versa dans le bain avant d’y entrer.
— ... Ah-h-h, soupira-t-il
avec satisfaction. Ça fait du bien.
Umpei, vêtu d’un kimono d’été en
coton, plaça un tabouret de bambou sous un treillis de courges, et s’assit.
— Vous avez vendu beaucoup de
pastèques ? demanda-t-il.
— Pas beaucoup. Je n’en vends
jamais beaucoup.
Il aperçut du sang séché entre ses
doigts, et se hâta de l’essuyer.
— Je m’en doute. Je continue
à croire que votre vie serait plus facile si vous travailliez dans une équipe
de puisatiers.
— Vous dites toujours ça. Ne
me prenez pas pour un ingrat, mais si je le faisais on ne me laisserait pas
sortir de l’enceinte du château, n’est-ce pas ? Voilà pourquoi Akemi ne
veut pas que j’accepte ce travail. Elle dit qu’elle se sentirait seule, sans
moi.
— Heureux en ménage,
hein ? Allons, allons...
— Aïe !
— Qu’est-ce qu’il y a ?
— Quelque chose m’est tombé
sur la tête.
Un kaki vert atterrit juste
derrière Matahachi.
— Ha ! ha ! Vous
êtes puni de vous être vanté de la dévotion de votre épouse, voilà ce que
c’est.
Toujours riant, Umpei frappa son
genou de son éventail. Agé de plus de soixante ans, avec une crinière
embroussaillée de cheveux blancs pareils à du chanvre, Umpei jouissait du
respect de ses voisins et de l’admiration des jeunes, que ce cœur d’or traitait
comme ses propres enfants. Chaque matin, on l’entendait psalmodier Namu
Myōhō Rengekyō , l’invocation sacrée de la secte Nichiren.
Natif d’Itō dans la province
d’Izu, il avait devant sa maison une enseigne qui disait : « Idohori
no Umpei, puisatier du château du Shôgun. » Forer les nombreux puits
nécessaires au château exigeait plus de technique que n’en possédait le commun
des ouvriers. Umpei avait été engagé comme conseiller et recruteur d’ouvriers à
cause de sa longue expérience des mines d’or de la péninsule d’Izu. Rien ne lui
plaisait plus que de s’asseoir sous son cher treillis de courges, à débiter des
histoires en buvant sa coupe du soir de shōshū bon marché mais
fort, le saké du pauvre.
Après que Matahachi fut sorti du
bain, Akemi entoura la baignoire de volets pour prendre le sien. Plus tard, la
proposition d’Umpei revint sur le tapis. Outre qu’ils devaient rester dans
l’enceinte du château, les ouvriers étaient surveillés de fort près, et leurs
familles servaient pratiquement d’otages aux patrons des endroits où ils
habitaient. En revanche, le travail était plus facile qu’à l’extérieur et payé
au moins le double. Accoudé à un plateau sur lequel se trouvait un plat de
caillé de fèves froid garni de feuilles fraîches et parfumées de basilic,
Matahachi déclara :
— Je ne veux pas me
constituer prisonnier sous le simple prétexte de gagner un peu d’argent. Je
n’ai pas l’intention de vendre toute ma vie des pastèques ; encore un peu
de patience, Akemi.
— Hum... répondit-elle entre
deux bouchées de gruau de thé et de riz. J’aimerais mieux te voir essayer
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