La parfaite Lumiere
fussent ses intentions –
devenir shugyōsha ou entrer dans les affaires –, dès que cela
devenait difficile il changeait de besogne. Et après qu’Otsū lui eut
glissé entre les doigts, il eut de moins en moins envie de travailler. Il
couchait tantôt ici, tantôt là, parfois dans des bouges peuplés de voyous. Les
toutes dernières semaines, il vivait de colportage, traînant ses pastèques d’un
point à l’autre de l’enceinte du château. Les faits et gestes de Matahachi
n’intéressaient pas spécialement Kojirō, mais il avait rédigé
l’inscription de Donjiki, et risquait par la suite d’être interrogé au sujet de
l’incident.
— ... Que te voulaient ces
samouraïs ? demanda-t-il.
— A vrai dire, ça avait trait
à une femme...
Kojirō sourit en songeant que
partout où allait Matahachi, des difficultés liées aux femmes ne tardaient pas
à surgir. Peut-être était-ce là son karma.
— Hum, marmonna-t-il, le
grand amoureux a encore fait des siennes ?
Puis, plus fort :
— ... De quelle femme s’agit-il,
et que s’est-il passé au juste ?
Il fallut insister, mais Matahachi
finir par céder et par raconter son histoire, ou du moins une partie de
celle-ci. Près du fossé, il y avait des douzaines de minuscules salons de thé
destinés aux ouvriers du bâtiment et aux passants. Dans l’un d’eux se trouvait
une serveuse qui attirait tous les regards, incitant des hommes qui n’avaient
pas envie de thé à entrer en boire une tasse, et des hommes qui n’avaient pas
faim à commander des bols de gelée sucrée. L’un des clients assidus était
Hamada ; Matahachi passait de temps à autre, lui aussi. Un jour, cette serveuse
lui chuchota qu’elle avait besoin de son aide :
— C’est ce rōnin,
disait-elle. Je ne l’aime pas, mais chaque soir après la fermeture de la
boutique, le maître m’ordonne de l’accompagner chez lui. Ne me laisserez-vous
pas venir me cacher chez vous ? Je ne serai pas un fardeau. Je vous ferai
la cuisine et le raccommodage.
Cette prière paraissant
raisonnable, Matahachi avait accepté. Les choses se bornaient là, assurait-il.
Kojirō n’était pas convaincu :
— Ça me paraît louche.
— Et pourquoi donc ?
demanda Matahachi.
Kojirō ne savait pas si
Matahachi essayait de se faire passer pour innocent, ou s’il se vantait d’une
conquête amoureuse. Sans même un sourire, il déclara :
— Peu importe. Il fait chaud,
ici, en plein soleil. Allons chez toi ; tu pourras me raconter ça plus en
détail.
Matahachi s’arrêta court.
— ... Il y a quelque chose
qui ne va pas ? demanda Kojirō.
— Mon Dieu, chez moi,
c’est... ça n’est pas le genre d’endroit où je souhaiterais vous emmener.
Devant l’expression de détresse de
Matahachi, Kojirō répondit légèrement :
— Tant pis. Mais un de ces
jours, bientôt, il faut venir me voir. J’habite chez Iwama Kakubei, à peu près
à mi-pente de la colline d’Isarago.
— Avec plaisir.
— A propos, as-tu vu les
pancartes apposées récemment à travers la ville, celles qui s’adressaient à
Musashi ?
— Oui.
— Elles disaient que ta mère
le recherchait, elle aussi. Pourquoi ne vas-tu pas la voir ?
— Pas dans l’état où je me
trouve en ce moment !
— Idiot ! Inutile de
faire beaucoup d’efforts pour ta propre mère. Impossible de savoir au juste
quand elle trouvera Musashi, et si tu n’es pas là à ce moment, tu perdras
l’occasion de ta vie. Tu le regretterais, n’est-ce pas ?
— Oui, il va falloir que j’y
pense, dit Matahachi sans se compromettre, en songeant avec ressentiment que
les autres gens, y compris l’homme qui venait de lui sauver la vie, ne comprenaient
rien aux sentiments qui unissent les mères et leur progéniture.
Ils se séparèrent, Matahachi
dévalant un chemin herbeux, Kojirō s’éloignant ostensiblement dans la
direction opposée. Kojirō fit bientôt demi-tour et suivit Matahachi en
prenant soin de ne pas se montrer.
Matahachi ne tarda pas à arriver à
une collection disparate de « longues maisons », logements ouvriers
d’un étage, composés chacun de trois ou quatre petits appartements sous un même
toit. Comme Edo s’était développé vite et que tout le monde ne pouvait se
montrer vétilleux sur son lieu d’habitation, les gens défrichaient les terres
suivant les besoins. Les rues n’apparurent qu’ensuite, créées tout
naturellement à partir des sentiers. Les égouts
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