La parfaite Lumiere
liens du sang.
Malgré sa jeunesse et ses revenus
modestes, Toranosuke était un samouraï avec lequel il fallait compter à Edo.
Comme les Tokugawa, il venait de la province de Mikawa, et sa famille faisait
partie des plus anciens vassaux héréditaires du shōgun. Il était aussi
l’un des « quatre généraux de la pente de Saikachi », les autres
étant Kamei, Negoro et Itō.
Quand Toranosuke était rentré la
veille au soir avec Osugi, l’avis général fut qu’il avait frappé un grand coup.
Maintenant, il serait difficile à Kojirō de ne pas se montrer. Les hommes
jurèrent que si en effet il paraissait, ils le battraient presque à mort, lui
couperaient le nez et le pendraient à un arbre, au bord du fleuve Kanda, pour
être vu de tous. Mais ils n’étaient nullement certains qu’il viendrait ;
et même, ils avaient parié là-dessus, la majorité assurant qu’il ne viendrait
pas.
Assemblés dans la grand-salle du dōjō,
ils laissèrent un espace libre au centre et attendirent avec anxiété. Au bout
d’un moment, un homme demanda à Kajurō :
— Tu es sûr que c’est bien
Kojirō que tu as vu ?
— Absolument sûr.
Ils formaient un cercle
redoutable. Leurs visages, de bois au début, donnaient maintenant des signes de
tension. Certains craignaient que si cela durait plus longtemps, ils ne fussent
victimes de cette même tension. Comme le point de rupture semblait proche, un
rapide bruit de sandales s’arrêta devant le vestiaire et la face d’un autre
élève, dressé sur la pointe des pieds, parut à la fenêtre.
— Ecoutez ! Il est
absurde d’attendre ici. Kojirō ne vient pas.
— Que veux-tu dire ? Kajurō
vient de le voir.
— Oui, mais il est allé droit
à la maison. Comment il s’est fait recevoir, je l’ignore, mais il se trouve
dans la salle de réception, en train de causer avec le maître.
— Avec le maître ? répéta
en écho le groupe avec un haut-le-corps collectif.
— Dis-tu la vérité ?
demanda Toranosuke, l’air consterné.
Il suspectait fort que si l’on
enquêtait sur les circonstances de la mort de son frère il se révélerait qu’il
n’avait rien fait de bon ; mais Toranosuke avait glissé là-dessus en
relatant l’incident à Tadaaki. Et si son maître apprenait qu’il avait enlevé
Osugi, ce ne serait pas de son fait.
— Si tu ne me crois pas,
vas-y voir.
— Quel gâchis ! gémit
Toranosuke.
Loin de sympathiser avec lui, ses
condisciples étaient agacés par son indécision.
En conseillant aux autres de
rester calmes pendant qu’ils allaient voir ce qui se passait, Kamei et Negoro
enfilaient leurs zōri lorsqu’une séduisante jeune fille au teint
clair sortit en courant de la maison. Ils reconnurent Omitsu, s’immobilisèrent,
et les autres se précipitèrent sur le seuil.
— Vous tous !
cria-t-elle d’une voix aiguë, excitée. Venez immédiatement ! Mon oncle et
l’hôte ont tiré l’épée. Au jardin. Ils se battent !
Bien qu’Omitsu fût considérée
officiellement comme la nièce de Tadaaki, l’on chuchotait qu’elle était en
réalité la fille d’Itō Ittōsai et d’une maîtresse. La rumeur voulait
qu’étant donné qu’Ittōsai était le maître de Tadaaki, ce dernier devait
avoir accepté d’élever l’enfant.
La jeune fille avait une
extraordinaire expression de frayeur.
— ... J’ai entendu mon oncle
et l’hôte parler, d’une voix de plus en plus forte ; aussitôt après... Je
ne crois pas que mon oncle coure un danger, mais...
Les quatre généraux jappèrent
d’une même voix et s’élancèrent en direction du jardin, séparé de la partie extérieure
de l’enceinte par une baie. Les autres les rejoignirent à la porte en bambou.
— La porte est fermée à clé.
— On ne peut pas la
forcer ?
Cela fut inutile. La porte céda
sous le poids des samouraïs qui se pressaient contre elle. En tombant, elle
révéla un vaste espace borné par une colline. Tadaaki, sa fidèle épée Yukihira
brandie à hauteur de l’œil, se tenait au centre. Au-delà, à une certaine
distance, se tenait Kojirō, la grande « Perche à sécher »
brandie au-dessus de sa tête, les yeux étincelants.
L’atmosphère chargée d’électricité
semblait dresser une invisible barrière. Pour des hommes élevés dans la stricte
tradition de la classe des samouraïs, la solennité qui entourait les
combattants, la dignité meurtrière des épées dégainées, étaient inviolables.
Malgré
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