La parfaite Lumiere
un moment dans
sa main comme s’il s’agissait de la missive d’un ami depuis longtemps perdu.
— ... Où l’as-tu vu ?
demanda-t-il.
— Au village de Nobidome.
Cette sale vieille était avec lui. Il a dit qu’il allait à Buzen.
— Tiens ?
— Il était avec un tas de
samouraïs de Hosokawa... Sensei , vous feriez bien de vous tenir sur vos
gardes, et de ne pas prendre de risques.
Musashi fourra dans son kimono la
lettre qu’il n’avait pas ouverte, et acquiesça. Incertain d’avoir été compris,
Iori insista :
— ... Ce Kojirō est très
fort, n’est-ce pas ? Il a quelque chose contre vous ?
Il rapporta à Musashi tous les
détails de sa rencontre avec l’ennemi.
Lorsqu’ils arrivèrent à la cabane,
Iori descendit au bas de la colline chercher à manger ; Gonnosuke ramassa
du bois et alla puiser de l’eau. Ils s’assirent près du feu qui brûlait clair
dans l’âtre, et savourèrent le plaisir de se retrouver l’un l’autre sains et
saufs. Ce fut alors qu’Iori remarqua les cicatrices et ecchymoses récentes, sur
les bras et le cou de Musashi.
— ... D’où vous viennent
toutes ces marques ? demanda-t-il. Vous en êtes couvert.
— Rien de grave. As-tu nourri
le cheval ?
— Oui, monsieur.
— Demain, tu devras le
rendre.
Le lendemain matin de bonne heure,
Iori monta le cheval et fit un bref galop de promenade avant le petit déjeuner.
Quand le soleil fut au-dessus de l’horizon, il arrêta sa monture, bouche bée.
Il regagna la cabane au galop, en criant :
— Sensei ,
levez-vous ! Vite ! C’est comme quand nous l’avons vu de la montagne
de Chichibu. Le soleil... il est énorme ; on dirait qu’il va rouler sur la
plaine. Debout, Gonnosuke.
— Bonjour, dit Musashi du
petit bois où il se promenait.
Trop excité pour songer au petit
déjeuner, Iori annonça : « Je m’en vais, maintenant », et
s’éloigna sur son coursier.
Musashi regarda le jeune garçon et
le cheval prendre l’aspect d’un corbeau au centre même du soleil. La tache
noire devint de plus en plus petite, pour être finalement absorbée par le grand
orbe enflammé.
La porte de la gloire
Avant de s’attabler devant son
petit déjeuner, le portier ratissa le jardin, brûla les feuilles mortes et
ouvrit le portail. Shinzō, lui aussi, était levé depuis un moment. Il
commençait sa journée, comme toujours, en lisant un choix de classiques chinois.
A quoi succédait l’entraînement au sabre.
Du puits, où il était allé se
laver, il se rendit à l’écurie, voir les chevaux.
— Palefrenier !
appela-t-il.
— Monsieur ?
— Le rouan n’est pas encore
de retour ?
— Non, mais le cheval
m’inquiète moins que le garçon.
— Ne t’inquiète pas pour
Iori. Il a grandi à la campagne. Il sait se conduire.
Le vieux portier s’approcha de Shinzō
pour l’informer que des hommes étaient venus le voir et l’attendaient au
jardin. En se dirigeant vers la maison, Shinzō leur fit un signe de la
main ; comme il allait à eux, l’un des hommes lui dit :
— Voilà bien longtemps que
nous ne nous sommes vus.
— Quel plaisir, de vous
revoir tous ensemble ! dit Shinzō.
— La santé ?
— Parfaite, comme vous pouvez
le voir.
— Nous avons entendu dire que
tu avais été blessé.
— Pas grave. Qu’est-ce qui
vous amène d’aussi bonne heure ?
— Nous voudrions discuter
avec toi d’une petite affaire.
Les cinq anciens élèves d’Obata
Kagenori, tous beaux, fils de gardes du drapeau ou d’érudits confucéens,
échangèrent des regards significatifs.
— Allons par là, dit Shinzō
en désignant un tertre couvert d’érables, dans un angle du jardin.
Parvenus au feu du portier, ils
s’arrêtèrent autour. Shinzō porta la main à son cou ; puis,
constatant que les autres l’observaient, il expliqua :
— ... Par temps froid, ça
fait un peu mal.
A tour de rôle, ils examinèrent la
cicatrice.
— On m’a dit que c’était
l’œuvre de Sasaki Kojirō.
Il y eut un silence bref, mais
tendu.
— Le but de notre visite
était justement de parler de Kojirō. Hier, nous avons appris que c’est lui
qui a tué Yogorō.
— Je m’en doutais. Vous avez
des preuves ?
— Indirectes, mais convaincantes.
On a retrouvé le corps d’Yogorō au pied de la colline d’Isarago, derrière
le temple. La maison de Kakubei se trouve à mi-pente de la colline. Kojirō
habitait là.
— Hum... Je ne serais
Weitere Kostenlose Bücher