La parfaite Lumiere
sera un grand
homme. Pour lui, c’est un merveilleux coup de chance. Il va être un des maîtres
du shōgun. Il sera le fondateur de sa propre école d’escrime.
— Vraiment ?
— Ça te fait plaisir ?
— Bien sûr... plus que tout.
Puis-je emprunter le cheval ?
— Maintenant ? Tu viens
de rentrer.
— Je vais le lui dire.
— Inutile. Avant ce soir, le
Conseil des Anciens le convoquera officiellement. Dès que nous aurons reçu la
nouvelle, j’irai moi-même la porter à Musashi.
— Il viendra ici ?
— Oui, lui assura Shinzō.
Sur un dernier regard au feu qui
se mourait, il prit le chemin de la maison, un peu ragaillardi par Iori mais
inquiet du sort de ses amis en colère.
La convocation ne fut pas longue à
venir. Environ deux heures plus tard, un messager arriva, porteur d’une lettre
pour Takuan et d’un ordre pour Musashi de se présenter le lendemain au Pavillon
des Réceptions, devant la Porte de Wadakura. Une fois sa nomination confirmée,
il serait reçu en audience par le shōgun.
Quand Shinzō, flanqué d’un
serviteur, parvint à la maison de la plaine de Musashino, il trouva Musashi
assis au soleil, un chaton sur les genoux, en train de causer avec Gonnosuke. Shinzō
alla droit au but :
— Je viens vous chercher.
— Merci, dit Musashi. J’étais
sur le point d’aller vous remercier d’avoir pris soin d’Iori.
Sans plus attendre, il monta le
cheval que Shinzō avait amené pour lui, et ils retournèrent à Ushigome.
Ce soir-là, assis avec Takuan et
le seigneur Ujikatsu, il apprécia la chance immense qui lui était donnée de
pouvoir considérer ces hommes, ainsi que Shinzō, comme de vrais amis.
Le lendemain matin, à son réveil,
Musashi trouva des vêtements appropriés à la circonstance déjà préparés à son
intention, ainsi que des accessoires comme un éventail et du papier de soie. Et
au petit déjeuner, le seigneur Ujikatsu lui déclara :
— C’est un grand jour. Vous
devriez vous réjouir.
Le repas comportait du riz avec
des haricots rouges, une brème de mer entière pour chaque convive, et d’autres plats
que l’on ne servait qu’aux jours de fête. Ce menu ressemblait fort à ce qu’il
eût été pour une cérémonie de majorité dans la famille Hōjō.
Musashi voulait refuser la
nomination. A Chichibu, il avait reconsidéré ses deux années à Hōtengahara,
et son ambition de mettre au service d’un bon gouvernement sa science du sabre.
Maintenant, la croyance qu’Edo, pour ne point parler du reste du pays, était
prêt pour le type du gouvernement idéal qu’il envisageait, lui paraissait moins
défendable.
Mais il ne pouvait refuser. Ce qui
le décidait en fin de compte, c’était la confiance en lui manifestée par ses
partisans. Pas moyen de dire non à Takuan, son vieil ami et sévère mentor, ni
au seigneur Ujikatsu, devenu une relation précieuse.
En vêtement de cérémonie, sur un
cheval magnifique avec une selle de toute beauté, il partit sur une route
ensoleillée à destination du château ; chaque pas le rapprochait de la
porte de la gloire.
Devant le Pavillon des Réceptions
s’étendait une cour tapissée de gravier ; sur un haut poteau, une pancarte
disait : « Descendez de cheval. » Tandis que Musashi mettait
pied à terre, un personnage officiel et l’un des palefreniers s’avancèrent.
— Je m’appelle Miyamoto
Musashi, annonça-t-il. Je viens en réponse à une convocation envoyée hier par
le Conseil des Anciens. Puis-je vous prier de me présenter au préposé à la
salle d’attente ?
Il était venu seul, ainsi qu’il se
devait. Un autre personnage se présenta qui l’escorta à l’antichambre où il fut
prié d’attendre « jusqu’à l’arrivée d’un ordre intérieur ».
Il s’agissait d’une vaste salle,
dite « salle aux orchidées » d’après les peintures d’oiseaux et
d’orchidées printanières qui décoraient les murs et les portes. Bientôt, un
serviteur entra, chargé de thé et de gâteaux ; mais ce fut le seul contact
de Musashi avec des êtres humains durant près d’une demi-journée. Les petits
oiseaux des tableaux ne chantaient pas ; les orchidées n’embaumaient pas.
Musashi se mit à bâiller.
Il prit pour un des ministres
l’homme à face rougeaude, à cheveux blancs qui finit par paraître. Peut-être
dans sa jeunesse avait-il été un distingué homme de guerre.
— Vous êtes Musashi, n’est-ce
pas ? dit en s’asseyant le
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