La parfaite Lumiere
pèlerinage :
Habit
fané, chapeau en loques, portes zen où l’on frappe.
En
réalité, la Loi du Bouddha est simple :
Mange
ton riz, bois ton thé, porte tes vêtements
Musashi se rappelait cette strophe
écrite par Gudō pour se moquer de lui-même. A l’époque où il la composait,
Gudō avait à peu près l’âge actuel de Musashi.
Quand Musashi avait été le voir
pour la première fois au Myōshinji, le prêtre avait failli le mettre à la
porte à coups de pied. « Quel étrange raisonnement vous conduit chez
moi ! » criait-il. Mais Musashi insista ; plus tard, une fois
qu’il fut reçu, Gudō lui fit connaître cette strophe ironique. Et il se
moqua de lui, disant ce qu’il avait dit quelques semaines auparavant :
« Tu parles toujours... C’est inutile. »
Complètement découragé, Musashi
renonça à dormir et contourna le portail, juste à temps pour voir deux hommes
sortir du temple.
Gudō et Matahachi marchaient
à une vitesse inhabituelle. Peut-être étaient-ils convoqués d’urgence au Myōshinji,
le temple principal de la secte de Gudō. Quoi qu’il en fût, celui-ci
dépassa en trombe les moines rassemblés pour le voir partir, et se dirigea
droit vers le pont de Kara, à Seta.
Musashi suivait à travers la ville
de Sakamoto endormie, les ateliers de gravure sur bois, l’épicerie et même les
auberges bondées, tout cela barricadé de volets. La seule présence était celle
de la lune spectrale.
Quittant la ville, ils gravirent
le mont Hiei, dépassèrent le Miidera et le Sekiji dans leurs voiles de brume.
Ils ne rencontrèrent presque personne. Quand ils atteignirent le col, Gudō
s’arrêta et dit quelque chose à Matahachi. Au-dessous d’eux s’étendait Kyoto,
de l’autre côté la surface calme du lac Biwa. En dehors de la lune elle-même,
tout ressemblait à du mica, un océan de douce brume argentée.
Quelques instants plus tard, en
arrivant au col, Musashi tressaillit de se trouver à quelques pas seulement du
maître. Leurs yeux ne s’étaient pas rencontrés depuis plusieurs semaines.
Gudō se taisait.
Musashi se taisait.
« Maintenant... il faut que
ce soit maintenant », se dit Musashi. Si le prêtre allait jusqu’au Myōshinji,
peut-être faudrait-il attendre un grand nombre de semaines l’occasion de le
revoir.
— S’il vous plaît,
monsieur... dit-il.
Sa poitrine se gonflait ; son
cou se tordait. Sa voix sonnait comme celle d’un enfant effrayé qui tâche de
dire à sa mère quelque chose qu’il ne veut pas vraiment dire. Il s’avançait timidement.
Le prêtre ne daigna pas lui demander ce qu’il voulait. Son visage aurait pu
être celui d’une statue laquée. Les yeux seuls se détachaient en blanc, qui
foudroyaient Musashi.
— ... S’il vous plaît,
monsieur...
Musashi, n’écoutant que l’élan
irrésistible qui le poussait en avant, tomba à genoux et inclina la tête.
— ... Un mot de sagesse. Un
seul mot...
Il attendit ce qui lui parut des
heures. Quand il fut incapable de se contenir davantage, il renouvela sa
supplication.
— Je sais tout ça,
l’interrompit Gudō. Matahachi me parle de toi chaque soir. Je sais tout ce
qu’il y a à savoir, même au sujet de cette femme.
Ces mots ressemblaient à des
éclats de glace. Musashi n’aurait pu lever la tête, même s’il l’avait voulu.
— ... Matahachi, un
bâton !
Musashi ferma les yeux, se
préparant au coup ; mais au lieu de le frapper, Gudō traça un cercle
autour de lui. Sans une explication, il jeta le bâton et dit :
— ... Allons, Matahachi.
Et ils partirent rapidement.
Musashi était indigné. Après les semaines de cruelles mortifications qu’il
avait subies dans un effort sincère pour recevoir un enseignement, le refus de Gudō
était bien plus qu’un manque de compassion. C’était un brutal manque de cœur. Gudō
jouait avec la vie d’un homme.
— Sale prêtre !
Musashi, serrant les dents,
regardait avec fureur s’éloigner les deux hommes.
« Rien ». En
réfléchissant à la parole de Gudō, il conclut qu’elle était trompeuse, du
fait qu’elle donnait à entendre que cet homme avait quelque chose à offrir,
alors qu’en réalité il n’y avait « rien » dans sa tête folle.
« Attends un peu, songeait
Musashi. Je n’ai pas besoin de toi ! » Il ne s’appuierait sur
personne. En dernière analyse, il n’y avait bien personne d’autre que lui-même
sur qui s’appuyer. Il était un homme, tout
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