La parfaite Lumiere
précisa peu à peu. Le disciple de Gumbei était au nombre de plusieurs
samouraïs de Honda qui avaient étudié à l’école Yoshioka. Les plus agressifs
d’entre eux se réunirent et décidèrent de tuer l’homme qui avait mis fin à la
gloire de l’école Yoshioka.
Musashi savait que le nom de
Yoshioka Kempō était encore révéré dans tout le pays. A l’ouest du Japon,
notamment, l’on aurait eu peine à trouver un fief où aucun samouraï n’aurait
étudié sous sa direction. Musashi dit à Shima qu’il comprenait la haine qu’ils
lui portaient, mais la considérait comme une rancune personnelle plutôt qu’un
motif de vengeance légitime, conforme à l’Art de la guerre. Shima parut
approuver :
— J’ai fait venir les
survivants pour les réprimander. J’espère que vous nous pardonnerez et
oublierez cette affaire. Gumbei, lui aussi, était fort mécontent. Si vous n’y
voyez pas d’inconvénient, j’aimerais vous le présenter. Il souhaiterait vous
exprimer ses excuses.
— Ce n’est pas nécessaire. Il
s’agit d’un incident courant pour tout homme qui se consacre aux arts martiaux.
— Néanmoins...
— Allons, laissons là les
excuses. Mais s’il souhaite parler de la Voie, je serai charmé de le
rencontrer. Son nom m’est familier.
On envoya chercher Gumbei ;
après les présentations, la conversation passa au sabre et à l’art du
sabre :
— J’aimerais vous entendre
parler du style Tōgun, dit Musashi. L’avez-vous créé ?
— Non, répondit Gumbei. Je
l’ai appris de mon maître, Kawasaki Kaginosuke, de la province d’Echizen.
D’après le manuel qu’il m’a donné, il l’a élaboré alors qu’il vivait en ermite
sur le mont Hakuun, à Kōzuke. Il semble avoir appris beaucoup de ses
techniques d’un moine Tendai du nom de Tōgumbo... Mais parlez-moi de vous.
J’ai maintes fois entendu citer votre nom. J’avais l’impression que vous étiez
plus âgé. Et puisque vous êtes ici, je me demande si vous m’accorderiez la
faveur d’une leçon.
Le ton était cordial. Il ne
s’agissait pas moins d’une invitation à se battre.
— Une autre fois, répondit
Musashi d’un ton léger. Maintenant, il faut que je parte. Je ne connais pas
bien le chemin du retour.
— Quand vous partirez, dit
Shima, je vous ferai raccompagner.
— En apprenant que deux
hommes avaient été abattus, reprit Gumbei, je suis allé voir. J’ai constaté que
je ne pouvais faire concorder la position des corps avec les blessures ;
aussi ai-je interrogé l’homme qui en est réchappé. Il avait l’impression que
vous vous serviez de deux sabres à la fois. Est-ce possible ?
Avec un sourire, Musashi répondit
qu’il ne l’avait jamais fait consciemment. Il considérait ce qu’il faisait
comme un combat avec un corps et un sabre.
— Vous êtes trop modeste, dit
Gumbei. Parlez-nous-en. Comment vous entraînez-vous ?
Comprenant qu’il ne pourrait
partir avant d’avoir fourni une explication quelconque, Musashi regarda tout
autour de lui. Ses yeux s’arrêtèrent sur deux mousquets dans l’alcôve ; il
demanda à les emprunter. Shima consentit, et Musashi se rendit au milieu de la
salle en tenant les deux armes par le canon, un dans chaque main. Musashi leva
un genou et dit :
— Deux sabres sont comme un
sabre. Un sabre est comme deux sabres. Nos bras sont distincts ; l’un et
l’autre appartiennent au même corps. En toute chose, le raisonnement suprême
n’est pas duel, mais unique. Je vais vous montrer.
Les mots sortaient
spontanément ; lorsqu’il s’arrêta, Musashi leva le bras et dit :
— ... Avec votre permission.
Alors, il se mit à faire
tourbillonner les mousquets. Les autres hommes pâlirent. Musashi s’arrêta et
ramena les coudes au corps. Il se dirigea vers l’alcôve et remit les mousquets
en place. Avec un léger rire, il déclara :
— ... Peut-être cela vous
aidera-t-il à comprendre.
Sans s’expliquer davantage, il
s’inclina devant son hôte et prit congé. Abasourdi, Shima oublia complètement
de le faire raccompagner. Le portail franchi, Musashi se retourna pour jeter un
dernier regard, soulagé d’avoir échappé à l’emprise de Watari Shima. Il
ignorait toujours les véritables intentions de cet homme, mais une chose était
claire. Non seulement son identité était connue, mais il s’était trouvé mêlé à
un incident. Le plus sage serait de quitter Okazaki le soir même.
Il songeait à la promesse
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