La parfaite Lumiere
qu’il
avait faite à Matahachi d’attendre le retour de Gudō quand les lumières
d’Okazaki apparurent ; une voix l’appela d’un petit sanctuaire du bord de
la route :
— Musashi, c’est moi,
Matahachi. Nous étions inquiets à ton sujet ; c’est pourquoi nous sommes
venus t’attendre ici.
— Inquiets ?
— Nous sommes allés chez toi.
La voisine a dit que l’on t’avait espionné, ces temps-ci.
— Nous ?
— Le maître est revenu
aujourd’hui.
Gudō était assis sur le
péristyle du sanctuaire. Il s’agissait d’un homme à l’allure insolite, la peau
aussi noire que celle d’une cigale géante, les yeux profondément enfoncés
brillant sous de hauts sourcils. Il avait l’air d’avoir entre quarante et
cinquante ans, mais il était impossible d’en décider chez un pareil homme.
Mince comme un fil, il avait une voix de stentor. Musashi alla à lui,
s’agenouilla, se prosterna. Gudō le considéra en silence une minute ou
deux.
— Cela fait longtemps...
dit-il.
Levant la tête, Musashi répondit
doucement :
— Très longtemps.
Gudō ou Takuan... de longue
date, Musashi avait la conviction que l’un ou l’autre de ces deux hommes
pourrait seul le délivrer de son impasse actuelle. Enfin, après toute une année
d’attente, Gudō se trouvait là. Il contemplait la face du prêtre comme il
eût contemplé la lune par une sombre nuit. Brusquement, avec force, il
s’écria :
— Sensei !
— Qu’y a-t-il ?
Gudō n’avait pas besoin de le
demander ; il savait ce que voulait Musashi, le prévoyait comme une mère
devine les besoins de son enfant. Musashi, de nouveau prosterné,
répondit :
— Voilà bientôt dix ans que
j’étudiais sous votre direction.
— Si longtemps ?
— Oui. Pourtant, même après
tant d’années, je doute que mon progrès le long de la Voie soit mesurable.
— Tu parles toujours comme un
enfant, n’est-ce pas ? Tu ne saurais avoir beaucoup avancé.
— Je suis plein de regrets.
— Vraiment ?
— Mon entraînement et mon
autodiscipline ont accompli si peu de chose !
— Tu parles toujours de ces
questions. Aussi longtemps que tu le feras, ce sera en vain.
— Si je renonçais,
qu’arriverait-il ?
— Tu serais un rebut de
l’humanité, plus mal parti qu’avant, alors que tu n’étais qu’un fol ignorant.
— Si j’abandonne la Voie, je
sombre dans les abîmes. Pourtant, quand j’essaie de la suivre jusqu’au sommet,
je m’aperçois que je ne suis pas digne de la tâche. Je reste à mi-pente, ni
l’homme d’épée ni l’être humain que je veux être.
— Voilà qui semble résumer la
question.
— Vous ne pouvez savoir par
quel désespoir je suis passé. Que dois-je faire ? Dites-le-moi !
Comment puis-je me libérer de l’inaction et de la confusion ?
— Pourquoi me demander cela à
moi ? Tu ne peux compter que sur toi-même.
— Laissez-moi m’asseoir à vos
pieds de nouveau, et recevoir votre châtiment. Moi et Matahachi. Ou donnez-moi
un coup de votre bâton pour me réveiller de ce vide noir. Je vous en supplie, Sensei ,
aidez-moi.
Musashi n’avait pas levé la tête.
Il ne pleurait pas mais sa voix s’étranglait. Sans la moindre émotion, Gudō
dit : « Viens, Matahachi », et ils s’éloignèrent ensemble du
sanctuaire.
Musashi courut après le prêtre,
s’accrocha à sa manche, pria, supplia. Le prêtre secoua la tête en silence.
Musashi insistant, il lui répondit :
— Pas question !
Puis, avec colère :
— ... Qu’ai-je à te
dire ? Qu’ai-je à te donner de plus ? Seulement un coup sur la tête.
Il brandissait le poing, mais sans
frapper. Musashi, lâchant sa manche, allait reprendre la parole. Le prêtre
s’éloigna rapidement, sans s’arrêter pour regarder en arrière. A côté de Musashi,
Matahachi déclara :
— Quand je l’ai vu au temple
pour lui expliquer nos sentiments et pourquoi nous voulions devenir ses
disciples, c’est à peine s’il écoutait. Quand j’ai eu terminé, il a fait :
« Ah ? », et m’a déclaré que je pouvais l’accompagner pour le
servir. Peut-être que si tu te contentes de nous suivre, chaque fois qu’il aura
l’air de bonne humeur tu pourras lui demander ce que tu veux.
Gudō se retourna pour appeler
Matahachi.
— Je viens, répondit ce
dernier. Fais ce que je t’ai dit, conseilla-t-il à Musashi en s’élançant pour
rattraper le prêtre.
Musashi pensa que perdre à nouveau
de vue
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