La parfaite Lumiere
môle.
Hon’ami Kōetsu était là. La
maladie avait empêché son bon ami Haiya Shōyu de venir, mais son fils
Shōeki le représentait. Shōeki se trouvait accompagné de son épouse,
dont l’éblouissante beauté faisait tourner les têtes partout où elle passait.
— C’est bien Yoshino,
n’est-ce pas ? chuchota un homme en tirant son compagnon par la manche.
— De Yanagimachi ?
— Oui. Yoshino Dayū de
l’Ogiya.
Shōeki l’avait présentée à
Musashi sans mentionner son ancien nom. Son visage n’était pas familier à
Musashi, bien sûr, car il s’agissait de la seconde Yoshino Dayū. Nul ne
savait ce qu’était devenue la première, où elle se trouvait maintenant, si elle
était mariée ou célibataire. Depuis longtemps, l’on ne parlait plus de sa
grande beauté. Des fleurs s’épanouissaient ; des fleurs tombaient. Dans le
monde fugace du quartier réservé, le temps passait vite.
Yoshino Dayū... Ce nom eût
évoqué des souvenirs de nuits de neige, d’un feu de bois de pivoines, d’un luth
brisé.
— Cela fait maintenant huit
ans que nous nous sommes rencontrés pour la première fois, observa Kōetsu.
— Oui, huit ans, répondit en
écho Musashi, lequel se demandait où ces années avaient bien pu passer.
Il avait le sentiment que son
embarquement de ce jour-là marquait la fin d’une phase de sa vie. Matahachi
était au nombre des amis, ainsi que plusieurs samouraïs de la résidence
Hosokawa à Kyoto. D’autres samouraïs transmettaient les meilleurs vœux du
seigneur Karasumaru Mitsuhiro ; un groupe de vingt à trente hommes d’épée,
en dépit des protestations de Musashi, se considéraient comme ses disciples
parce qu’ils l’avaient connu à Kyoto.
Il se rendait à Kokura, dans la
province de Buzen, où il affronterait Sasaki Kojirō lors d’une épreuve
d’adresse et de maturité. Grâce aux efforts de Nagaoka Sado, cette
confrontation fatidique, depuis si longtemps préparée, devait finalement avoir
lieu. Les négociations, longues et difficiles, avaient nécessité l’envoi de
nombreux courriers. Même après que Sado se fut assuré, l’automne précédent, que
Musashi se trouvait chez Hon’ami Kōetsu, l’achèvement des dispositions
avait demandé six mois encore.
Etre le champion d’un grand nombre
de disciples et d’admirateurs : même dans ses rêves les plus fous, Musashi
n’avait pu l’imaginer. L’importance de la foule le gênait. En outre, elle lui
interdisait de parler comme il l’aurait souhaité avec certaines personnes.
Ce qui le frappait le plus dans
ces grands adieux, c’était leur absurdité. Il n’avait aucun désir d’être
l’idole de quiconque. Pourtant, ces gens se trouvaient là pour exprimer leur
bienveillance. Il n’existait aucun moyen de les en empêcher.
Il avait le sentiment que certains
le comprenaient. Il leur était reconnaissant de leurs bons vœux. En même temps,
il éprouvait presque une réaction de frayeur : qu’une telle adulation lui
montât à la tête. Après tout, il n’était qu’un homme.
Autre chose le troublait : ce
long prélude. Si l’on pouvait dire que lui et Kojirō voyaient où leurs
relations les menaient, l’on pouvait dire aussi que le monde les avait dressés
l’un contre l’autre, et avait décrété une fois pour toutes qu’ils devaient décider
lequel était le meilleur.
D’abord, on avait déclaré :
« J’apprends qu’ils vont en découdre. »
Puis, ce fut : « Oui,
ils vont sûrement s’affronter. »
Plus tard encore :
« Quand a lieu le combat ? »
Enfin, le bruit du jour et de
l’heure mêmes circulait avant que les principaux intéressés n’en eussent
officiellement décidé.
Etre un héros public déplaisait à
Musashi. Ses exploits rendaient la chose inévitable, mais il ne la recherchait
pas. Ce qu’il voulait en réalité, c’était plus de temps personnel pour la méditation.
Il avait besoin de développer l’harmonie, de s’assurer que ses idéaux
n’outrepassaient point ses capacités d’agir. Grâce à sa plus récente expérience
avec Gudō, il avait avancé d’un pas vers l’illumination. Et il en était
venu à sentir de façon plus aiguë la difficulté à suivre la Voie – la
longue Voie à travers la vie.
« Et pourtant... » se
disait-il. Où serait-il, sans la bonté des gens qui le soutenaient ?
Serait-il en vie ? Aurait-il ces vêtements sur le dos ? Il portait un
kimono noir à manches courtes,
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