La parfaite Lumiere
cousu pour lui par la mère de Kōetsu. Ses
sandales neuves, le chapeau de vannerie neuf qu’il tenait à la main, toutes ses
affaires lui avaient été données par quelqu’un qui l’estimait. Le riz qu’il
mangeait... d’autres l’avaient fait pousser. Il vivait du fruit d’un labeur qui
n’était pas le sien. Comment rétribuer tout ce que les gens avaient fait pour
lui ?
L’heure était venue de mettre à la
voile. On pria pour un bon voyage ; on prononça les derniers adieux.
On lâcha les amarres, le bateau
dériva vers la pleine mer, et la grand-voile se déploya comme une aile dans le
ciel d’azur.
Un homme courut au bout de la
jetée, s’arrêta, frappa du pied, plein de contrariété.
— Trop tard !
grondait-il. Je n’aurais pas dû faire la sieste.
Kōetsu s’approcha de lui pour
lui demander :
— N’êtes-vous pas Musō
Gonnosuke ?
— Si, répondit-il en mettant
son gourdin sous son bras.
— Je vous ai rencontré un
jour au Kongōji, à Kawachi.
— Oui, bien sûr. Vous êtes
Hon’ami Kōetsu.
— Je suis content de vous
voir en bonne santé. D’après ce que j’avais entendu dire, je n’étais pas
certain que vous fussiez encore en vie.
— Entendu dire par qui ?
— Par Musashi.
— Par Musashi ?
— Oui ; il séjournait
chez moi jusqu’à hier. Il a reçu plusieurs lettres de Kokura. Dans l’une,
Nagaoka Sado écrivait que vous aviez été fait prisonnier sur le mont Kudo. Il
estimait que vous risquiez d’avoir été blessé ou tué.
— Tout ça n’était qu’une
erreur.
— Nous avons appris également
qu’Iori vit chez Sado.
— Il est donc sain et
sauf ! s’exclama Gonnosuke avec une expression de vif soulagement.
— Oui. Asseyons-nous quelque part
pour bavarder.
Il conduisit le robuste
spécialiste du gourdin à une boutique proche. En buvant du thé, Gonnosuke
raconta son histoire. Heureusement pour lui, après un coup d’œil, Sanada
Yukimura était parvenu à la conclusion qu’il ne s’agissait pas d’un espion.
Gonnosuke avait été relâché, et les deux hommes étaient devenus bons amis,
Yukimura non seulement le pria d’excuser l’erreur de ses subordonnés, mais
envoya un groupe d’hommes à la recherche d’Iori.
Comme ils ne retrouvaient pas le
corps du garçon, Gonnosuke conclut qu’il était encore en vie. Depuis lors, il
avait passé son temps à fouiller les provinces voisines. A la nouvelle que
Musashi se trouvait à Kyoto et qu’un combat entre lui et Kojirō était
imminent, il avait intensifié ses efforts. Puis, de retour au mont Kudo la
veille, il avait appris de Yukimura que Musashi devait s’embarquer ce jour-là
pour Kokura. Il avait redouté d’affronter Musashi sans Iori à son côté, et sans
la moindre nouvelle de lui. Mais ignorant s’il reverrait jamais son maître
vivant, il était venu tout de même. Il présentait des excuses à Kōetsu
comme si ce dernier eût été victime de sa négligence.
— Ne vous inquiétez pas, dit Kōetsu.
Il y aura un autre bateau dans quelques jours.
— Je voulais vraiment faire
le voyage avec Musashi.
Il observa une pause, puis reprit
avec ardeur :
— ... Je crois que ce voyage
peut être le tournant décisif dans la vie de Musashi. Il ne cesse de se
discipliner. Il ne risque pas d’être vaincu par Kojirō. Pourtant, dans un
combat de ce genre, on ne sait jamais. Un élément plus qu’humain est en cause.
Tous les guerriers doivent l’affronter ; la victoire ou la défaite est en
partie une question de chance.
— Je ne crois pas que vous
deviez vous inquiéter. L’attitude de Musashi est parfaite. Il avait l’air plein
de confiance.
— Je n’en doute pas, mais
Kojirō jouit lui aussi d’une réputation considérable. Et l’on dit que,
depuis qu’il est entré au service du seigneur Tadatoshi, il s’entraîne et se
maintient en forme.
— Cela sera une épreuve de
force entre un homme qui est un génie, quoiqu’en vérité un peu suffisant, et un
homme ordinaire qui a poli ses talents au maximum, vous ne croyez pas ?
— Je ne qualifierais pas
Musashi d’ordinaire.
— Pourtant, il l’est. Voilà
bien ce qu’il y a d’extraordinaire en lui. Il ne se contente pas de compter sur
les dons naturels qu’il peut avoir. Se sachant ordinaire, il essaie toujours de
s’améliorer. Nul ne se fait la moindre idée de l’effort surhumain qu’il a dû
fournir. Maintenant que ses années d’entraînement ont donné des
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