La parfaite Lumiere
résultats aussi
spectaculaires, tout le monde parle de ses « talents innés ». Ainsi
se consolent les gens qui manquent de courage.
— Merci de ces paroles, dit
Gonnosuke.
A son avis, Kōetsu parlait
peut-être de lui autant que de Musashi. En regardant le profil serein de cet
homme plus âgé, il pensa : « Il en va de même pour lui. » Kōetsu
avait l’air de ce qu’il était : un homme de loisir qui s’était mis
délibérément à l’écart du reste du monde. Pour le moment, ses yeux manquaient
de l’éclat qu’ils avaient lorsqu’il se concentrait sur la création artistique.
Ils étaient comme une mer d’huile sous un ciel clair. Un jeune homme passa la
tête à la porte, et dit à Kōetsu :
— Nous rentrons ?
— Tiens, Matahachi !
répondit aimablement Kōetsu.
Il se tourna vers Gonnosuke et lui
dit :
— Je crois que je vais devoir
vous quitter. Mes compagnons semblent m’attendre.
— Vous rentrez par
Osaka ?
— Oui. Si nous y arrivons à
temps, j’aimerais prendre le bateau du soir pour Kyoto.
— Eh bien, dans ce cas,
j’irai à pied avec vous jusque-là.
Au lieu d’attendre le prochain
bateau, Gonnosuke avait résolu de voyager par terre. Tous trois cheminèrent
donc côte à côte ; leurs propos s’écartaient rarement de Musashi, de son
rang actuel et de ses exploits passés. A un certain moment, Matahachi exprima
de l’inquiétude :
— J’espère que Musashi
gagnera mais Kojirō n’est pas commode. Il a une technique terrifiante,
vous savez.
Le souvenir de sa propre rencontre
avec Kojirō demeurait vif dans son esprit.
Au crépuscule, ils étaient dans les
rues populeuses d’Osaka. Ensemble, Kōetsu et Gonnosuke s’aperçurent que
Matahachi ne se trouvait plus avec eux.
— Où peut-il être
passé ? demanda Kōetsu.
En revenant sur leurs pas, ils le
trouvèrent debout près de l’extrémité du pont. Il regardait, fasciné, la berge
du fleuve où les ménagères des maisons proches lavaient des ustensiles de
cuisine, du riz non décortiqué, des légumes.
— Il a l’air bizarre, dit
Gonnosuke.
Lui et Kōetsu, un peu à
l’écart, l’observaient.
— C’est elle ! criait
Matahachi. Akemi !
Dès qu’il la reconnut, il fut
frappé par le caractère capricieux du destin. Mais aussitôt, il en alla
autrement. Le destin ne lui jouait pas de tours – il le confrontait
seulement à son passé. Akemi avait été son épouse. Leurs karmas étaient liés.
Tant qu’ils habiteraient la même planète, ils étaient voués à se trouver de
nouveau réunis, tôt ou tard.
Il avait eu du mal à la
reconnaître. Le charme et la coquetterie qu’elle manifestait deux ans seulement
auparavant s’étaient évanouis. Elle avait un visage incroyablement émacié, des
cheveux sales, noués en chignon. Elle portait un kimono de coton à manches
tubulaires qui lui descendait à peine au-dessous des genoux, vêtement
utilitaire de toutes les ménagères des classes inférieures de la ville. On
était loin des soieries bariolées qu’elle avait arborées en tant que
prostituée.
Courbée dans la position propre
aux marchands à la sauvette, elle avait entre les bras un lourd panier dont
elle tirait des palourdes et des ormeaux qu’elle vendait. Les articles encore invendus
laissaient à penser que les affaires n’étaient guère florissantes.
Attaché à son dos par une bande de
tissu sale, un bébé d’environ un an.
Plus que toute autre chose,
c’était l’enfant qui faisait battre plus rapidement le cœur de Matahachi. Les paumes
pressées contre les joues, il comptait les mois. Si le bébé était dans sa
deuxième année, il avait été conçu lorsqu’ils se trouvaient à Edo... Or, Akemi
était enceinte lorsqu’on les avait publiquement fouettés.
La lumière du soleil du soir,
reflétée par la rivière, dansait sur le visage de Matahachi, comme s’il avait
été baigné de larmes. Il était sourd au vacarme de la circulation. Akemi longeait
lentement le bord du fleuve. Matahachi se lança à sa poursuite en agitant les
bras et en criant. Kōetsu et Gonnosuke lui emboîtèrent le pas :
— Matahachi, où
allez-vous ?
Il avait complètement oublié les
deux hommes. Il s’arrêta pour leur permettre de le rattraper.
— Excusez-moi, murmura-t-il.
A vrai dire...
A vrai dire ? Comment leur
expliquer ce qu’il allait faire alors qu’il était dans l’incapacité de se
l’expliquer à lui-même ? Il lui était pour
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