La parfaite Lumiere
Mais
non !
Repassant aussitôt à l’attaque,
Osugi empoigna Otsū par les cheveux. Le pâle visage de la jeune fille se
retourna vers le ciel ; la pluie l’inondait. Elle ferma les yeux.
— ... Espèce de gueuse !
Combien j’ai souffert à cause de toi, toutes ces années !
Chaque fois qu’Otsū ouvrait
la bouche pour parler, ou s’efforçait de se libérer, la vieille femme lui
tirait méchamment les cheveux. Sans les lâcher, elle jeta la jeune fille à
terre, la piétina et la bourra de coups de pied.
Alors, Osugi, l’air effrayé, lâcha
la chevelure.
— ... Oh ! qu’ai-je fait
là ? haleta-t-elle, consternée. Otsū ? appela-t-elle
anxieusement, en considérant la forme inanimée qui gisait à ses pieds. Otsū !
Penchée, elle scrutait le visage
trempé de pluie, aussi froid au toucher qu’un poisson mort. Pour autant qu’elle
en pouvait juger, la jeune fille ne respirait pas.
— ... Elle est... elle est
morte.
Osugi était consternée. Bien
qu’elle ne voulût pas pardonner à Otsū, elle n’avait pas eu l’intention de
la tuer. Elle se redressa, gémit et recula.
Peu à peu, elle se calma et ne fut
pas longue à se dire : « Eh bien, je suppose qu’il n’y a rien d’autre
à faire qu’à aller chercher du secours. » Elle commença à s’éloigner,
hésita, tourna bride et revint. Elle prit dans ses bras le corps froid d’Otsū,
et le transporta dans la caverne.
L’entrée avait beau être étroite, l’intérieur
était spacieux. Près d’un mur, se trouvait un endroit où, dans un lointain
passé, des pèlerins en quête de la Voie s’étaient assis pour méditer durant de
longues heures.
Quand la pluie se calma, Osugi se
rendit à l’entrée et allait se glisser au-dehors lorsque les nuages crevèrent
une seconde fois. L’eau éclaboussait presque jusqu’au fond de la grotte.
« Le matin n’est pas
loin », songea-t-elle. Avec indifférence, elle s’accroupit et attendit que
la tempête s’apaisât de nouveau.
Se trouver dans l’obscurité
complète avec le corps d’Otsū commença de lui monter au cerveau. Elle
avait le sentiment que le visage livide et glacé la fixait d’un regard
accusateur. D’abord, elle se rassura en se disant : « Tout ce qui
arrive doit arriver. Prends ta place en paradis comme un Bouddha nouveau-né. Ne
me garde pas rancune. » Mais bientôt, la peur et le sentiment de son
affreuse responsabilité la poussèrent à chercher refuge dans la piété. Fermant
les yeux, elle entonna un sutra. Plusieurs heures s’écoulèrent.
Lorsqu’enfin ses lèvres se turent
et qu’elle ouvrit les yeux, elle entendit pépier des oiseaux. L’air était
immobile ; la pluie avait cessé. A travers l’orifice de la caverne, un
soleil doré l’aveuglait.
— ... Qu’est cela, je me le
demande, dit-elle à voix haute en se levant, les yeux sur une inscription
gravée au mur de la caverne par une main inconnue.
Debout devant, elle
déchiffra : « En l’an 1544, j’ai envoyé mon fils âgé de seize ans,
appelé Mori Kinsaku, prendre part à la bataille du château de Tenjinzan, dans
le camp du seigneur Uragami. Depuis, je ne l’ai jamais revu. Poussée par le
chagrin, j’erre en divers endroits consacrés au Bouddha. Aujourd’hui, je place
dans cette caverne une image de la Bodhisattva Kannon. Je prie pour que cette
image, et les larmes d’une mère, protègent Kinsaku dans son existence future.
Si plus tard quelqu’un passe par ici, je le supplie d’invoquer le nom du
Bouddha. Voilà vingt et un ans que Kinsaku est mort. Donatrice : la mère
de Kinsaku, village d’Aita. »
Les caractères effacés étaient par
endroits difficiles à lire. Cela faisait près de soixante-dix ans que les
villages voisins — Sanumo, Aita, Katsuta – avaient été attaqués
par la famille Amako, et que le seigneur Uragami avait été expulsé de son château.
Un souvenir d’enfance qui ne s’effacerait jamais de la mémoire d’Osugi était
l’incendie de cette forteresse. Elle voyait encore les tourbillons de fumée
noire s’élever dans le ciel, les cadavres d’hommes et de chevaux joncher les
champs et les chemins durant des jours ensuite. On s’était battu presque jusqu’aux
maisons des paysans.
En songeant à la mère du garçon, à
son chagrin, à ses errances, à ses prières et à ses offrandes, Osugi éprouva de
la peine. « Pour elle, ç’a dû être terrible », se dit-elle. Elle
s’agenouilla et joignit
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