La parfaite Lumiere
les mains :
— ... Gloire au Bouddha
Amida. Gloire au Bouddha Amida...
Elle sanglotait ; ses larmes
lui tombaient sur les mains ; mais il fallut attendre qu’elle eût pleuré
tout son soûl pour qu’elle reprit conscience du visage d’Otsū, froid et insensible
à la lumière du matin, à côté de son genou.
— ... Pardonne-moi,
Otsū. C’était mauvais de ma part, abominable ! Je t’en prie,
pardonne-moi, je t’en prie.
La face convulsée de remords, elle
souleva doucement le corps d’Otsū dans ses bras.
— ... Effrayant...
effrayant... Aveuglée par l’amour maternel... Par dévotion envers mon propre
enfant, je suis devenue une diablesse pour l’enfant d’une autre femme. Tu avais
une mère, toi aussi. Si elle m’avait connue, elle m’aurait considérée comme...
comme un horrible démon... J’étais sûre d’avoir raison, mais pour les autres
j’étais un sale monstre.
Les mots paraissaient remplir la
caverne, et rebondir à ses propres oreilles. Il n’y avait là personne, aucun
œil pour regarder, aucune oreille pour entendre. Les ténèbres de la nuit
étaient devenues la lumière de la sagesse du Bouddha.
— ... Que tu étais donc
bonne, Otsū ! Etre tourmentée durant tant d’années par cette horrible
vieille folle, sans jamais lui rendre sa haine... Venir en dépit de tout
essayer de me sauver... Maintenant, j’y vois clair. Je me trompais. Toute la
bonté de ton cœur, je la considérais comme mauvaise, je t’en remerciais par de
la haine. J’avais l’esprit déformé. Oh ! pardonne-moi, Otsū.
Elle pressait son visage humide
contre celui de la jeune fille.
— ... Si seulement mon fils
était aussi gentil que toi... Ouvre à nouveau les yeux, vois-moi implorer ton
pardon. Ouvre la bouche, insulte-moi. Je le mérite. Otsū... pardonne-moi.
Tandis qu’elle contemplait ce
visage en versant des larmes amères, elle se vit elle-même telle qu’elle devait
être apparue lors de toutes ces affreuses rencontres passées avec Otsū. La
prise de conscience de sa méchanceté noire lui serra le cœur. Elle ne cessait
de murmurer :
— ... Pardonne-moi...
pardonne-moi.
Elle se demandait même si elle ne
devrait pas rester assise là jusqu’à ce qu’elle rejoignît la jeune fille dans
la mort.
— ... Non !
s’exclama-t-elle résolument. Trêve de larmes et de gémissements. Peut-être...
peut-être qu’elle n’est pas morte. Si j’essaie, peut-être pourrai-je la ramener
à la vie. Elle est jeune. Elle a encore la vie devant elle.
Doucement, elle reposa Otsū à
terre et se glissa hors de la caverne, dans l’aveuglant soleil. Elle ferma les
yeux et mit les mains en porte-voix autour de sa bouche :
— ... Il y a quelqu’un ?
Vous, les gens du village, venez ici ! Au secours !
Elle rouvrit les yeux et fit
quelques pas en courant et en continuant à appeler. Un mouvement se produisit
dans le petit bois de cryptomerias, puis un cri :
— Elle est ici ! Elle
est saine et sauve, en fin de compte !
Une dizaine de membres du clan
Hon’iden sortirent du bosquet. Après avoir entendu l’histoire racontée par le
survivant de la bataille avec Jōtarō, ils avaient organisé des
recherches et s’étaient mis en route aussitôt malgré l’orage. Ils portaient encore
leurs capes de pluie et étaient tout crottés.
— Ah ! vous êtes
sauve ! s’exclama, exultant, le premier homme qui atteignit Osugi.
Ils l’entourèrent, l’air
immensément soulagé.
— Ne vous inquiétez point
pour moi, leur ordonna Osugi. Vite, allez voir si vous pouvez faire quelque
chose pour la jeune fille qui est dans la caverne. Voilà des heures qu’elle a
perdu connaissance. Si nous ne lui donnons pas des médicaments tout de suite...
Sa voix était rauque. Presque en
transe, elle désignait la caverne. Peut-être était-ce la première fois, depuis
la mort de l’oncle Gon, qu’elle versait des larmes de chagrin.
Les saisons de la vie
L’automne passa. Et l’hiver.
Un des premiers jours du quatrième
mois de 1612, des passagers s’installaient sur le pont du bateau régulier entre
Sakai, dans la province d’Izumi, et Shimonoseki, dans celle de Nagato.
Informé que le navire était prêt à
prendre le départ, Musashi se leva d’un banc, dans la boutique de Kobayashi Tarōzaemon,
et salua les gens qui étaient venus le voir partir.
— Bon courage ! lui
disaient-ils en faisant avec lui le bref trajet à pied jusqu’au
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