La parfaite Lumiere
sanctuaire. Mais quand il retourna au portail, il n’y avait
toujours personne.
Bien qu’il ne fût pas fort, le
bruit de chevaux frappant le sol du sabot commença à l’agacer. Il descendit les
marches et tomba sur une écurie, à l’ombre des arbres, où un vieux palefrenier
nourrissait le cheval blanc sacré du sanctuaire. Il lança à Musashi un regard
accusateur.
— Vous désirez quelque
chose ? demanda-t-il avec brusquerie. Vous avez quelque chose à voir avec
le sanctuaire ?
En apprenant pourquoi Musashi se
trouvait là, il éclata d’un rire inextinguible. Musashi, qui ne trouvait pas
ses ennuis drôles du tout, n’essaya pas de réprimer un froncement de sourcils.
Mais avant qu’il n’ouvrît la bouche, le vieux lui dit :
— On ne devrait pas vous
laisser courir les routes tout seul : vous êtes par trop naïf. Vous avez
cru vraiment que cette vermine de grand chemin passerait la journée entière à
rechercher vos amis ? Si vous les avez payés d’avance, vous ne les
reverrez jamais.
— Vous voulez dire que ce
n’était que de la comédie lorsqu’ils se sont divisés avant de partir ?
L’expression du palefrenier devint
compatissante.
— Vous vous êtes fait
voler ! répondit-il. On m’a dit qu’il y a eu toute la journée
d’aujourd’hui une dizaine de vagabonds qui buvaient et jouaient pour de
l’argent dans le petit bois, de l’autre côté de la montagne. Il y a de fortes
chances pour que ce soient eux. Ces choses-là arrivent tout le temps.
Là-dessus, il raconta des
histoires de voyageurs escroqués de leur argent par des ouvriers peu
scrupuleux, mais conclut d’un ton bénin :
— ... Ainsi va le monde. Vous
feriez mieux d’être plus prudent à l’avenir.
Sur ce sage conseil, il ramassa
son seau vide et s’en alla, laissant Musashi tout penaud. « Il est trop
tard pour faire quoi que ce soit maintenant, soupira-t-il. Je m’enorgueillis de
ne pas prêter le flanc à mon adversaire, après quoi je me laisse berner par une
bande de tâcherons illettrés ! » Cette preuve de sa crédulité lui fit
l’effet d’une gifle. De pareilles lacunes risquaient aisément d’entacher sa
pratique de l’Art de la guerre. Comment un homme aussi facile à duper par ses
inférieurs pourrait-il avec efficacité commander une armée ? Tout en
montant lentement vers le portail, il résolut de prêter plus d’attention
désormais aux mœurs du monde environnant.
L’un des ouvriers guettait dans
l’obscurité ; dès qu’il l’aperçut, il l’appela et descendit quelques
marches en courant.
— Content de vous trouver,
monsieur, dit-il. J’ai des nouvelles d’une des personnes que vous cherchez.
— Ah ?
Musashi, qui venait de se
reprocher sa naïveté, fut stupéfait mais content d’apprendre qu’en ce monde, il
n’y avait pas que des escrocs.
— ... Par « une des
personnes », veux-tu parler de la femme ou du garçon ?
— Du garçon. Il est avec Daizō
de Narai, et j’ai découvert où Daizō se trouve, ou du moins où il se
dirige. Je ne croyais pas que la bande avec laquelle j’étais ce matin tiendrait
sa promesse. Ils ont pris leur journée pour jouer, mais vous me faisiez de la
peine. Je suis allé de Shiojiri à Seba en interrogeant tous les gens que je
rencontrais. Personne ne savait quoi que ce soit au sujet de la fille, mais
j’ai appris de la servante de l’auberge où j’ai mangé que Daizō était
passé par Suwa aujourd’hui vers midi pour se rendre au col de Wada. Elle a dit
qu’il avait un jeune garçon avec lui.
Gêné, Musashi répondit un peu
cérémonieusement :
— C’est bien aimable à vous
de m’en informer.
Il sortit sa bourse, en sachant bien
qu’elle ne contenait que de quoi payer son propre repas. Il hésita un instant
mais réfléchit que l’honnêteté ne devait pas rester sans récompense, et donna
tout ce qui lui restait à l’ouvrier. Satisfait de ce pourboire, l’homme éleva
l’argent à son front en un geste de remerciement, et, ravi, poursuivit son
chemin.
Se voyant sans argent, Musashi se
dit qu’il l’avait mieux employé que pour se remplir la panse. Peut-être
l’ouvrier, ayant appris que la bonne conduite est parfois profitable, irait le
lendemain sur la route aider un autre voyageur.
Il faisait déjà nuit ; mais
il décida qu’au lieu de dormir sous l’auvent de quelque chaumière, il
franchirait le col de Wada. En voyageant toute la nuit, il devrait être en
mesure
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