La parfaite Lumiere
alerte vers le col de Wada. Musashi fit demi-tour afin de revenir à
l’endroit où la grand-route de Kōshu bifurquait à partir du Nakasendō.
Comme il se tenait là, à combiner sa stratégie, un groupe d’ouvriers à la
journée de Suwa vint à lui. Leurs vêlements donnaient à penser qu’il s’agissait
de portefaix, de palefreniers ou de porteurs des palanquins primitifs utilisés
dans la région. Ils s’approchaient lentement, les bras croisés, pareils à une
armée de crabes. Tandis que leurs yeux le jaugeaient avec grossièreté, l’un
d’eux lui dit :
— Monsieur, vous avez l’air
de chercher quelqu’un. Une belle dame, peut-être, ou seulement un
serviteur ?
Musashi secoua la tête, les écarta
d’un geste un peu dédaigneux, et se détourna. Il ne savait pas s’il devait
aller vers l’est ou vers l’ouest, mais finit par décider de passer la journée à
voir ce qu’il pourrait trouver dans le voisinage. Si ses enquêtes ne donnaient
rien, il pourrait alors gagner la capitale du shōgun avec la conscience
claire. Un des ouvriers l’interrompit dans ses pensées :
— Si vous cherchez quelqu’un
nous pourrions vous aider, dit-il. Ça vaut mieux que de faire le pied de grue
en plein soleil. Elle est comment, votre amie ?
Un autre ajouta :
— Nous ne vous fixerons même
pas un prix pour nos services. Nous le laisserons à votre bon cœur.
Musashi se laissa aller à décrire
en détail Otsū et Jōtarō Après s’être consulté avec ses
camarades, le premier homme déclara :
— Nous ne les avons pas
vus ; mais en nous divisant nous sommes certains de les trouver. Les
ravisseurs ont dû prendre une des trois routes, entre Suwa et Shiojiri. Vous ne
connaissez pas cette région mais nous la connaissons.
Guère optimiste sur ses chances de
succès dans un domaine aussi délicat, Musashi répondit :
— Bon, partez à leur
recherche.
— Marché conclu !
s’écrièrent les hommes.
De nouveau ils se réunirent,
ostensiblement, pour décider qui devait aller où. Puis le chef s’avança en se
frottant les mains avec déférence.
— Il y a seulement une petite
chose, monsieur. Voyez-vous... Je suis gêné d’en parler, mais nous ne sommes
que des ouvriers sans le sou. Vous savez, pas un de nous n’a encore rien eu à
manger de la journée. Nous nous demandons si vous ne pourriez pas nous avancer
la moitié d’un jour de paie et, mettons, un petit quelque chose en plus. Je
vous garantis que nous retrouverons vos compagnons avant la nuit.
— Bien sûr. J’avais
l’intention de vous donner quelque chose.
L’homme cita un chiffre que
Musashi, après avoir compté son argent, trouva supérieur à ce qu’il possédait.
Il connaissait la valeur de l’argent mais étant seul, sans personne à sa
charge, il y était en fin de compte indifférent. Des amis et des admirateurs
lui donnaient parfois des fonds de voyage, et il y avait des temples où il
pouvait souvent se faire loger gratis. D’autres fois, il couchait à la belle
étoile ou se passait de nourriture. D’une manière ou d’une autre, il avait
toujours réussi à s’en sortir.
Au cours de ce voyage, il avait
laissé les finances à Otsū, laquelle avait reçu en cadeau, du seigneur
Karasumaru, une coquette somme. Elle payait les notes et lui donnait chaque
matin, comme le ferait n’importe quelle ménagère, une certaine quantité d’argent
de poche.
N’en gardant qu’un peu pour
lui-même, il distribua le reste de son argent aux hommes ; bien qu’ils en
eussent espéré davantage, ils acceptèrent d’entreprendre les recherches, à
titre de « faveur spéciale ».
— Attendez-nous près du
portail à deux étages du sanctuaire de Suwa Myōjin, recommanda leur
porte-parole. Avant ce soir, nous serons de retour avec des nouvelles.
Et ils partirent dans plusieurs
directions. Au lieu de perdre sa journée à ne rien faire, Musashi alla voir le
château de Takashima et la ville de Shimosuwa, s’arrêtant çà et là pour noter
des traits de la topographie locale, qui pourraient lui être utiles un jour, et
pour observer les méthodes d’irrigation. Il demanda plusieurs fois s’il y avait
dans la région d’éminents spécialistes des armes, mais n’apprit rien
d’intéressant.
Aux approches du couchant, il
gagna le sanctuaire et s’assit, las et déprimé, sur l’escalier de pierre qui
montait au portail à deux étages. Nul ne venant, il fit un tour dans les
spacieux jardins du
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