La parfaite Lumiere
de rattraper Daizō. Il se mit en marche, savourant une fois de plus
le plaisir de se trouver la nuit sur une route déserte. Il y avait là quelque
chose qui plaisait à sa nature. Comptant ses pas, écoutant la voix silencieuse
du ciel, il était capable de tout oublier pour se réjouir de sa propre
existence. Au milieu d’une foule de gens affairés, il paraissait souvent triste
et solitaire, mais maintenant il se sentait vivant, alerte. Il pouvait penser
froidement, objectivement à la vie, et même se juger comme s’il eût été un
parfait inconnu.
Un peu après minuit, il fut
distrait de sa rêverie par une lumière, au loin. Depuis qu’il avait traversé le
pont de la rivière Ochiai, il grimpait régulièrement. Un col était derrière
lui ; le suivant, à Wada, se devinait en face de lui sous le ciel étoilé ;
au-delà, c’était la passe encore plus élevée de Daimon. La lumière se trouvait
dans un creux parallèle aux deux crêtes.
« On dirait un feu de joie,
se dit-il en souffrant de la faim pour la première fois depuis des heures.
Peut-être qu’ils me laisseront sécher mes manches, et me donneront un peu de
gruau, ou quelque chose comme ça. »
En s’approchant, il vit que ce
n’était pas un feu extérieur, mais la lumière d’une petite maison de thé au
bord de la route. Il y avait quatre ou cinq poteaux pour attacher des chevaux,
mais pas de chevaux. Il paraissait incroyable qu’il y eût quelqu’un dans un tel
endroit à pareille heure ; et pourtant Musashi entendait des voix
éraillées, mêlées au crépitement du feu. Durant quelques minutes, il se tint,
hésitant, sous l’auvent. S’il s’était agi d’une cabane de cultivateur ou de
bûcheron, il n’eût pas hésité à demander un abri et quelques reliefs, mais il
s’agissait d’un commerce.
L’odeur de nourriture exaspérait
son appétit. La fumée chaude l’enveloppait ; il ne pouvait s’arracher à
cet endroit. « Allons, si je leur expose ma situation, peut-être
accepteront-ils en paiement la statue. » La « statue », c’était
la petite image de Kannon qu’il avait taillée dans le bois d’un vieux prunier.
A son entrée dans la boutique, les
clients saisis se turent. L’intérieur était simple, un sol en terre battue avec
au centre un foyer et une hotte, autour de quoi se serraient trois hommes sur
des tabourets. Dans une marmite mijotait de la viande de sanglier au radis
noir. Une jarre de saké chauffait sous la cendre. Debout, le dos tourné pour
couper des marinades en bavardant avec bonne humeur, le patron.
— Qu’est-ce que vous
voulez ? demanda l’un des clients, un homme aux yeux perçants et aux longs
favoris.
Trop affamé pour entendre, Musashi
dépassa les hommes et, s’asseyant au bord d’un tabouret, dit au patron :
— Donnez-moi quelque chose à
manger, vite. Du riz et des marinades feront l’affaire. N’importe quoi.
L’homme versa une part de ragoût
sur un bol de riz froid, et posa le tout devant lui.
— Vous avez l’intention de
passer le col cette nuit ? demanda-t-il.
— Hum, marmonna Musashi, qui
s’était déjà emparé de baguettes et s’attaquait à la nourriture avec entrain.
Après la seconde bouchée, il
demanda :
— ... Savez-vous si un nommé Daizō – il
vient de Narai – est passé par ici cet après-midi en direction du
col ? Il est accompagné d’un jeune garçon.
— Je crains bien de ne
pouvoir vous être utile.
Puis, aux autres :
— ... Tōji, vous et vos
amis, avez-vous vu un homme d’un certain âge qui voyageait avec un petit
garçon ?
Après quelques chuchotements, le
trio répondit par la négative en secouant la tête à l’unisson. Musashi,
rassasié et réchauffé par la nourriture, commença de se tracasser au sujet de
la note. Il avait hésité à en discuter d’abord avec le patron, à cause de la
présence des autres, mais pas un instant il n’eut le sentiment de mendier. Il
lui avait simplement paru plus important de s’occuper en premier lieu des
besoins de son estomac. Il décida que si le commerçant refusait la statue, il
lui proposerait son poignard.
— Ça m’ennuie d’avoir à vous
le dire, commença-t-il, mais je n’ai pas du tout d’argent liquide. Je ne vous
demande pas un repas gratis, notez bien. J’ai là quelque chose à vous proposer
en paiement, si vous voulez.
Avec une amabilité imprévue, le
patron répondit :
— Je suis certain que ça ira.
Qu’est-ce
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